Albert Tévoédjrè s’est éteint mercredi 6 novembre à Porto-Novo. Quatre jours plus tard, il aurait eu quatre-vingt-dix ans. Surnommé le « Quartier latin de l’Afrique », le Bénin regorge certes de beaucoup d’intellectuels inspirants. Mais le doyen Tévoédjrè aura été un des plus emblématiques d’entre eux. Cet ancien ministre, également ancien haut fonctionnaire international et ancien médiateur de la République a été un homme d’action et d’influence. Sa disparition intervient quelques jours seulement après une révision de la Constitution béninoise, voulue par le pouvoir en place. Raymond Adekambi*, qui l’a bien connu, rappelle dans les lignes qui suivent l’homme qu’a été le Pr Tévoédjrè.
Le témoignage de Raymond Adekambi*
« J’ai connu le professeur Albert Tévoédjrè il y a bien longtemps ; mais je l’ai connu de près surtout dans les années 1996 où il avait été nommé ministre du Plan sous Kérékou II, après avoir contribué, en tant qu’opposant farouche au régime du président Nicéphore Soglo, à l’accession au pouvoir du feu général Mathieu Kérékou.
Dès qu’il a été nommé Ministre, il a promu mon épouse, Edwige Domingo Adekambi, coordonnatrice des Initiatives et Projets d’emplois nouveaux. Je sais qu’il l’avait découverte dans des missions humanitaires qu’elle avait menées dans la région des Grands lacs, précisément au Burundi et au Rwanda. Cette nomination lui a d’ailleurs valu des velléités au sein de son Parti, le Parti National ENSEMBLE, auquel mon épouse n’était pas membre.
Suite à cette nomination, les liens se sont resserrés avec le Professeur Tévoédjrè qui avait des idées vraiment positives et nationalistes. Etant moi-même un ancien militant du Parti communiste du Bénin (PCB), ces idées, sur beaucoup de points, rencontraient mon assentiment. C’est ainsi que nous avons sympathisé ; on discutait beaucoup.
Sur le plan du développement, il a encouragé l’Agence de Gestion de la Dimension Sociale du Développement (AGDSD) devenue AGETIP-BENIN S. A. Il a même œuvré pour ma promotion en tant que Directeur Général de cette Agence ; poste que j’ai commencé à occuper en 1998. Grâce à son appui, nous avons initié un projet historique au Bénin. Il s’agit du projet de construction de sept ponts métalliques sur le territoire national. Un projet, financé sur un don japonais à hauteur de plus de 3 milliards francs CFA, que nous avons entrepris de réaliser avec la participation de l’entreprise anglaise Mabey & Johnson qui a fourni les ponts. La mise en œuvre de ce projet a duré moins d’un an, et il a pu inaugurer ces ponts, notamment celui sur la traversée des marécages à Tokpota à Porto-Novo, en présence du feu général Mathieu Kérékou.
Il a beaucoup fait pour le pays, notamment avec son concept de « minimum social commun » où les cinq besoins fondamentaux du Béninois devaient être couverts. Cela lui tenait à cœur. Et sa conception des « 20 000 emplois » était basée sur le fait que, si dans chaque village on créait 4 emplois, on pourrait atteindre les 20 000 puisque nous avions 5 000 villages. Ce qui n’est pas faux.
Beaucoup d’actions ont été réalisées dans ce sens à travers des projets sociaux, des prêts aux artisans et aux sans emplois.
Plus tard, quand il a quitté le gouvernement, nous avons maintenu les relations et nous étions devenus, mon épouse et moi, un peu comme ses enfants. Ce qui nous a permis d’être dans son intimité, de connaitre Isabelle, son épouse, et de fréquenter régulièrement son domicile à Djrègbé où nous étions reçus toutes les fois comme chez nous.
Je dois dire que lorsqu’on est avec le professeur Tévoédjrè, on sent que ce n’est pas l’homme aussi « renard » qu’on fait croire. C’est un homme très simple. La première fois que j’ai répondu à son invitation à déjeuner, je m’attendais à des assortiments de mets européens qu’on a l’habitude de retrouver chez les grandes personnalités de son rang. Mais je me suis rendu compte que c’est la nourriture locale qui était proposée : du ninnouwi (la sauce gluante locale) avec de l’akassa, de la pâte. C’est tout ce que nous produisons chez nous qu’il propose à ses hôtes.
Mon épouse et moi étions chez lui tout récemment encore, lorsque le cardinal Zerbo était de passage au Bénin. Il a célébré une messe au domicile du professeur Tévoédjrè qui était très honoré de notre présence.
Sur le plan politique, il a toujours eu une longueur d’avance sur les autres. Il a pu prédire que Kérékou allait revenir au pouvoir et y a œuvré. Il est allé chercher Boni Yayi et a pesé de son poids pour qu’il soit élu président de la République. C’est vrai, je n’étais pas toujours d’accord avec ses choix ; mais il faut reconnaître qu’il finissait toujours par avoir raison.
Ces derniers temps, il était vraiment affaibli et j’étais souvent à ses côtés. Et au cours de ces derniers jours, il se plaignait toujours de gens qui étaient supposés très proches de lui, mais qui l’ont lâché, qui ne viennent plus lui rendre visite, qui ne prennent plus de ses nouvelles par téléphone, etc. C’est la vie.
Je voudrais que tout le Bénin salue sa mémoire d’homme patriote, de quelqu’un qui a beaucoup fait pour son pays, de quelqu’un qui aime surtout et par-dessous tout son pays. J’ai l’habitude de lui dire que mon plus grand regret, c’est qu’il n’ait pas été président de la République. Parce qu’il aurait beaucoup apporté au développement du pays. »
*Raymond Adekambi est Président directeur général de l’Agence d’Exécution des Travaux d’Intérêt Public au Bénin (AGETIP-BENIN S. A), Promoteur de l’hôtel Les Résidences Céline, Président de l’Association pour la Liberté et le Développement (ALD).
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