Comment la Chine construit-elle l’avenir en Afrique subsaharienne et pourquoi les États-Unis doivent-ils repenser leur approche ?

Le RD-Congolais Eric Mboma dirige les activités de Prudential au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

Tribune libre d’Eric Mboma publiée à Hong Kong en mai 2016 et dont l’essentiel des considérations demeurent pertinentes au moment où la rivalité économique Chine-Amérique prend des proportions parfois inquiétantes. 

Eric Mboma affirme que le rôle de la Chine dans le développement économique et infrastructurel de la République démocratique du Congo (RDC) illustre la nature et la portée de ses aspirations mondiales, tandis que l’accent mis par les États-Unis d’Amérique (USA) sur principalement la qualité des institutions politiques et les objectifs humanitaires, s’avère moins attrayant que l’emploi et la croissance réels.

Alors que l’on parle beaucoup de l’empreinte croissante de la Chine en Asie, la portée de ses aspirations mondiales se constate de plus en plus en Afrique. La République démocratique du Congo révèle la dynamique complexe des interactions de la Chine avec le continent, et met en exergue l’incapacité des grandes puissances, dont les États-Unis, à la maîtriser. La raison fondamentale de cet état des choses est que les priorités de la politique étrangère de Washington et de Pékin en Afrique subsaharienne, dont la RDC fait partie, divergent considérablement.

Selon une étude réalisée en 2013 par le Bureau de la comptabilité du gouvernement américain, les objectifs des USA comprennent notamment la construction de la démocratie ; la promotion du développement ; le soutien au commerce et le renforcement de la sécurité. Pékin, en revanche, se targue d’avoir pour mission d’établir des liens de partenariat plus étroits avec les pays africains. Ses principes d’engagement se fondant sur la recherche d’avantages mutuels et la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays africains.

Le Pivot de Pékin vers l’Afrique

Alors que les enjeux purement économiques figurent haut sur l’agenda des deux grandes puissances, les efforts en vue du renforcement de la démocratie libérale consentis par les États-Unis diffèrent nettement de la position adoptée par la Chine. En RDC – comme partout ailleurs dans le monde en développement – les États penchent davantage pour la poursuite des intérêts économiques plutôt que des pressions en matière de démocratie et des droits de l’homme. C’est compréhensible : les États sont intrinsèquement conservateurs dans la défense de leur souveraineté. Ce qui est plus intéressant, c’est que le peuple congolais lui-même, tout en étant attaché aux principes démocratiques, illustre la préférence générale de l’Afrique pour les investissements économiques chinois par rapport l’aide humanitaire américaine et les appels au renforcement de la démocratie.

Comme l’affirme Jacob Kushner dans un article publié dans The American Interest, il est « clair que les Congolais admirent le modèle chinois fondé sur l’entreprise privée et la non-ingérence dans leur politique intérieure ». Ce n’est pas que les Africains soient apathiques face à la nécessité de structures démocratiques : aucun peuple ne l’est, quoi qu’en disent ses gouvernements. C’est plutôt que les normes politiques sonnent creuses lorsque le développement économique et infrastructurel est terriblement insuffisant pour répondre aux besoins matériels fondamentaux des populations.

Les Congolais privilégient l’économie à la politique pour des raisons évidentes. La République démocratique du Congo est l’un des pays les plus pauvres du globe, avec un revenu par habitant de seulement 380 dollars américains en 2014 et un taux de pauvreté de 63 pour cent selon les statistiques de la Banque Mondiale de 2012. En 2013, en outre, le géant continental a été classé 176ᵉ sur 187 pays sur l’indice de développement humain. Cependant, force est de constater que le pays de Lumumba est en réalité un pays riche peuplé de personnes pauvres. Couvrant l’équivalent des deux tiers de la taille de l’Union Européenne, la RDC compte 80 millions d’hectares de terres arables et contient plus de 1 100 minéraux et métaux précieux identifiés à ce jour.

Sur le continent Africain, si riche en ressources, la RDC abrite les plus grandes réserves de minerai précieux, notamment de diamants, d’or, de cassitérite, de cuivre et de cobalt (dont le Congo abrite les plus grandes réserves mondiales). La richesse minérale du pays est estimée à plus de 24 trillions (ou 24 000 milliards) de dollars américains, soit l’équivalent du PIB combiné des États-Unis et de l’Europe ! Il n’est donc pas étonnant que la Banque mondiale estime que le Congo a le potentiel de devenir l’un des pays les plus riches du continent et un moteur de la croissance africaine.

Ce qu’il faudrait pour parvenir à une appréciation plus fine de la marche à suivre en République Démocratique du Congo, c’est d’envisager un modèle économique qui fonctionnera pour le pays. Ainsi, si l’on adopte le prisme de ce que l’on appelle la méthodologie Haussmann-Rodrik-Velasco à la République Démocratique du Congo, les quatre principales « contraintes limitantes » propres à son environnement économique sont les suivantes : les défaillances de gouvernance ; le manque de financement ; l’absence d’infrastructures énergétiques adéquates ; et l’insuffisance d’infrastructures de transport.

La Banque mondiale estime que les investissements de base nécessaires en RDC sont parmi les plus élevés d’Afrique. La banque a soutenu la publication d’une étude qui comprend un cadre de hiérarchisation des infrastructures et a estimé l’ampleur des besoins d’investissement à environ 5 milliards de dollars annuels. De l’aveu de plusieurs observateurs, il ne peut y avoir deux pays en voie de développement confrontés exactement au même ensemble de contraintes. Par conséquent, tenter de les catégoriser sur bases de ces critères serait complètement improductif.

Dès lors, l’approche chinoise fait une différence cruciale. La politique de l’Empire du Milieu au Congo vise spécifiquement le développement des infrastructures, se conformant ainsi à la méthodologie à géométrie variable des économistes de la prestigieuse Harvard Kennedy School of Government. En revanche, la politique américaine semble être fondée sur une approche limitative et relativement moins adaptée aux besoins spécifiques de la République Démocratique du Congo.

Le constat est indéniable : les routes, les écoles et les hôpitaux construits par les Chinois vont davantage transformer les perspectives économiques de ce pays aux enjeux continentaux. En effet, le Congo a affiché un taux de croissance économique annuel moyen respectable de près de 8 % depuis 2010, bien au-dessus de la moyenne de l’Afrique subsaharienne.

Aujourd’hui, des entreprises chinoises vont jusqu’à mettre en place des opérations locales en RDC pour faciliter l’exportation des produits miniers vers leurs centres de production asiatiques. La Chine récolte ainsi la part du lion des dividendes du partenariat liant les deux pays depuis les années Kabila, mais les Congolais en bénéficient également. Certes, d’importants efforts restent à consentir pour que cette fenêtre d’opportunités se mue en véritable accélérateur pour l’économie locale. Par exemple, l’incapacité du Congo à tailler et à finir les diamants pour lesquels il est célèbre a été un frein au développement de ce secteur dans lequel la RDC détient pourtant des atouts certains.


Le Congo fait partie de la stratégie chinoise de développement économique. La Chine, usine du globe, ne possède pas suffisamment de ressources stratégiques pour alimenter ses industries. Par conséquent, elle les achète à l’étranger, bloquant ainsi les approvisionnements en encourageant les entreprises publiques et les entreprises privées à conclure des accords miniers exclusifs dans le monde entier. Bien que la Chine détienne déjà le quasi-monopole des terres rares, qui sont un des ingrédients clés pour la plupart des produits manufacturés de haute technologie, y compris les voitures, les téléviseurs et les téléphones mobiles, la RDC est stratégique face à l’extraordinaire croissance de la consommation mondiale de ces objets. En effet, le Congo est l’un des rares pays qui dispose d’un approvisionnement fiable de ces éléments essentiels. Voilà donc une source de synergie entre les intérêts chinois et congolais.

La stratégie américaine

En revanche, la stratégie américaine reste prise dans une distorsion temporelle politique, même face aux avancées chinoises. L’aide américaine a été largement consacrée à l’amélioration de la santé et d’autres domaines humanitaires, tandis que la Chine accélère son aide au développement des infrastructures du Congo. Cependant, si la faible implication économique américaine affecte des pays tels que la RDC, elle est également préjudiciable aux intérêts américains eux-mêmes. Par exemple, l’emprise chinoise sur les ressources pétrolières en Afrique, si elle se développait davantage, pourrait affecter la sécurité énergétique des États-Unis, car Pékin pourrait soustraire ces ressources pétrolières du marché mondial et en restreindre l’utilisation aux besoins exclusifs de sa production industrielle.

La vérité est que les États-Unis ne peuvent pas se permettre d’ignorer la Chine en Afrique ou de ferme l’œil sur les implications de ses politiques industrielles et commerciales en Afrique, pas plus qu’elle ne peut le faire en Asie-Pacifique et au Moyen-Orient. Alors que la rivalité sino-américaine n’est pas aussi aiguë que ne le fut l’hostilité entre les États-Unis et l’Union soviétique pendant « la ruée vers l’Afrique » lors de la guerre froide, la rivalité d’aujourd’hui entre ces deux grandes puissances économiques est incontestable. Comme c’est encore le cas au Moyen-Orient, les Chinois engrangent des gains progressifs en Afrique alors même que les Américains sont mis au défi de maintenir le statu quo stratégique, ce qui serait à leur avantage.

En Asie-Pacifique, bien sûr, l’agenda chinois avance rapidement. La création de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures dirigées par Pékin contre la volonté de Washington en est une belle démonstration. Le cas de la République démocratique du Congo illustre la nécessité pour les USA de recentrer leur attention diplomatique sur l’Afrique, en mettant fortement l’accent sur le développement économique et infrastructurel, afin d’équilibrer les ambitions mondiales de la Chine.

Eric Mboma était en 2016 le PDG de Standard Bank Group, en RDC. Il est un ancien étudiant de la Harvard Kennedy School. Les opinions exprimées ici sont strictement personnelles.

Eric Mboma est Regional Chief Executive Officer, Middle-East & North Africa (MENA) de l’assureur britannique Prudential plc.