RDC : le pape François a dénoncé le «colonialisme économique» qui «se déchaîne» en Afrique après le «colonialisme politique»

Le président congolais, Félix Tshisekedi, en compagnie du pape François au Palais de la nation.

La communauté catholique et le peuple congolais dans son ensemble attendaient beaucoup de la visite du pape François, pour attirer l’attention du monde sur ce qu’il se passe dans le pays, dont plusieurs régions sont ravagées par des conflits armés, avec leurs lots de désolation, de pillage de ses ressources, qui appauvrit les populations, en passant par la corruption à tous les étages. Leur attente n’a pas été déçue. Dans un discours très politique, le 31 janvier, en présence du président Félix Tshisekedi, le Saint-Père a fustigé le « colonialisme économique », l’exploitation illégale des biens de ce pays, la corruption et a appelé à des élections libres, transparentes et crédibles prévues à la fin de l’année.

Il y avait de l’ambiance aux abords de l’aéroport international de Kinshasa N’djili, le 31 janvier, où a atterri le pape François pour une visite de quatre jours. Accueilli à sa descente d’avion par le Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, le convoi s’est dirigé vers le centre-ville, accompagné par les chants et danses de la marée humaine amassée le long du boulevard Lumumba pour saluer le Saint-Père dont la visite en RDC intervient presque 38 ans après le 2ème et dernier déplacement de Jean-Paul II à Kinshasa, en 1985.

C’est au Palais de la nation, aux côtés du président congolais, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, que le Saint-Père a prononcé son premier discours en terre congolaise. Devant les autorités politico-administratives, les représentants de la société civile et le corps diplomatique accrédité en République démocratique du Congo, le pape François a placé sa visite sous le signe de la « réconciliation en Jésus-Christ ». Pour lui, ce voyage constitue tout un espoir pour ce peuple longtemps meurtri par les affres de la guerre, surtout dans la partie orientale du pays. Et cette réalité dramatique n’échappe pas à la mémoire du Souverain pontife. Car, aujourd’hui comme hier, la situation n’a pas changé.

« Retirez vos mains de la RDC (…) Cessez d’étouffer l’Afrique »

Ces mots forts de l’évêque de Rome vont résonner longtemps aussi bien dans les têtes des ennemis du Congo que dans celles des Congolais eux-mêmes, plus que jamais réconfortés pour assumer leur destin contre les appétits gloutons des envahisseurs et des impérialistes. Le pape François constate ce que les Congolais et leurs autorités ont toujours décrié, mais dans un silence complice de ceux-là mêmes qui se passent pour « partenaires » le jour, mais agissant la nuit pour la déstabilisation de la RDC.

« Ce pays, largement pillé, ne parvient donc pas à profiter suffisamment de ses immenses ressources : on en est arrivé au paradoxe que les fruits de sa terre le rendent « étranger » à ses habitants. Le poison de la cupidité a ensanglanté ses diamants. C’est un drame devant lequel le monde économiquement plus avancé ferme souvent les yeux, les oreilles et la bouche », a regretté le Saint-Père. Pour le pape François, il est donc plus que temps de briser le silence. « (…) Ce pays et ce continent méritent d’être respectés et écoutés, ils méritent espace et attention : retirez vos mains de la République démocratique du Congo, retirez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser », a-t-il martelé.

L’histoire retiendra ainsi la voix forte du pape François, retentissante à Kinshasa, et surtout à Kigali, impliqué dans les violences dans l’Est de la RDC, appelant surtout à faire taire les armes. « Faites taire les armes, mettez fin à la guerre. Cela suffit ! Cela suffit de s’enrichir sur le dos des plus faibles, cela suffit de s’enrichir avec des ressources et de l’argent entachés de sang ! », a-t-il lancé, le 1er février, lors de sa rencontre avec des victimes de guerre du Nord-Kivu, de l’Ituri et du Sud-Kivu, évoquant un « génocide oublié ».

La RDC est ses multiples défis

Dans son allocution de bienvenue, le président congolais, Félix Antoine Tshisekedi, a présenté au Souverain pontife les défis auxquels est confronté son pays, dont en particulier l’insécurité, l’économie et la protection de l’environnement. Sur l’insécurité, qui constitue « le premier et grand défi » du gouvernement, le numéro un congolais a rappelé que si la RDC a « proclamé la laïcité de son Etat, la vie des populations est liée à des convictions religieuses qui traduisent le dynamisme et la vitalité de leur foi». En tête de ces convictions, qui « structurent notre agir collectif, et la vie de nos familles reposent sur ces valeurs religieuses (…), l’hospitalité s’impose comme une valeur cardinale », a-t-il souligné. «Malheureusement, il y a lieu de constater qu’au cours de ces trois dernières décennies, cette hospitalité qui nous caractérise, a été mise à mal par les ennemis de la paix et les groupes terroristes venus, essentiellement des pays voisins. Ce malheur qui dure depuis près de 30 ans fait de cette zone, une zone en rupture de paix où, outre les groupes armés, les puissances étrangères avides de minerais contenus dans notre sous-sol commettent avec l’appui direct et lâche de notre voisin, le Rwanda, des cruelles atrocités faisant ainsi de la sécurité le premier et grand défi. À la faveur de l’inaction et du silence de la communauté internationale, plus de dix millions de personnes ont déjà été atrocement arrachées à la vie… », a insisté le chef de l’Etat. Assurant que « la République démocratique du Congo assume et continuera d’assumer ses responsabilités, notamment celle consistant en la défense de l’intégrité de son territoire avec l’aide de son peuple ».

D’immenses potentialités ne profitent pas aux Congolais

Avec plus de 2,34 millions de kilomètres carrés, la RDC dispose d’un sous-sol riche en minerais (cuivre, cobalt, or, diamant, uranium, coltan, étain…), de 80 millions d’hectares de terres arables, ainsi que d’un potentiel hydroélectrique classé au premier rang des pays africains. Mais, pour diverses raisons – conflits et mauvaise gestion –, les deux tiers des quelque 110 millions de Congolais vivent, selon la Banque mondiale, avec moins de 2,15 dollars par jour. Aussi, le deuxième défi du gouvernement est-il économique, en lien avec les valeurs de partage, d’équité et de responsabilité. « Je suis convaincu que ces valeurs incarnées dans notre agir collectif comme citoyens et responsables politiques peuvent servir de base à l’édification d’une société plus juste et plus humaine », a affirmé Félix Tshisekedi », rappelant qu’ «en effet, avec son riche potentiel économique, la République démocratique du Congo, renferme dans son sous-sol l’essentiel des ressources minérales dont le monde a aujourd’hui besoin pour assurer la transition écologique et la protection de l’environnement. Qualifié de scandale géologique quant à l’ampleur de ses richesses et de son potentiel minier, il demeure qu’à ce jour ces immenses potentialités ne profitent toujours pas aux Congolais. Notre responsabilité, consiste à ne laisser personne au bord du chemin qui mène au développement économique en œuvrant ensemble pour le bien-être collectif dans le but d’éradiquer la pauvreté ».

L’autre grand défi auquel est confronté la RDC est celui de la protection de l’environnement. Et Félix Tshisekedi a fait savoir que le gouvernement de la République et lui-même partagent les valeurs défendues dans l’encyclique du Pape Laudato si, publiée en 2015, sur l’un des principaux défis auxquels l’humanité est confrontée actuellement, à savoir : le réchauffement climatique. Il a ainsi réitéré l’engagement de l’État congolais à œuvrer avec les autres pays pour «la paix et la lutte contre les changements climatiques», tout en réclamant une « justice climatique » en faveur des populations qui vivent dans la résilience afin de préserver la biodiversité. « Pour mieux protéger nos forêts, nous avons toujours milité pour une justice climatique afin que les plus grands pollueurs, qui sont à la base de la destruction de l’environnement, versent des compensations aux gardiens de la planète que nous sommes », a plaidé le président congolais.

Sera-t-il entendu ? Rien n’est moins sûr. Mais il a trouvé, à travers la visite de François, un porte-parole des malheurs de son pays et de ses concitoyens.

Rich Ngapi