L’Association congolaise des banques (ACB) a organisé, le 30 mars, au Pullman, un atelier sur le thème de la dédollarisation en République démocratique du Congo (RDC).
Empêchée, la gouverneure Malangu Kabedi-Mbuyi a été remplacée au pied levé par le directeur général de la Politique monétaire de la Banque centrale, Jean-Louis Kayembe, pour animer l’atelier sur la dédollarisation de l’économie congolaise. Il a d’abord présenté les origines de cette situation qui remonte à l’hyperinflation qui secoué l’économie de 1990 à 2000, avec un taux d’inflation moyen annuel astronomique de 2 145,4 % de 1990 à 2000. Le pic a été atteint en 1994, à 9 796,9 %. Cette hyperinflation a été alimentée « par la chute de production, des politiques macroéconomiques expansionnistes et peu orthodoxes », commente Jean-Louis Kayembe.
Hyperinflation et économie en berne
A l’époque, pour financer les déficits publics, la planche à billet s’emballe, entraînant une expansion monétaire sans précédent. Du coup, la monnaie se déprécie. « Le taux moyen annuel de dépréciation au cours de cette période a été de -63,1 % avec un creux de – 98,9 % en 1994 », contribuant à la dollarisation de l’économie. Le pays a connu une longue et profonde récession économique de plus de 13 ans, avec un taux de croissance moyen négatif : -5,5 %, et un plongeon à -13,5 % en 1993. Les pillages en 1991 et 1993 ont entraîné le pays dans la récession. Avec une inflation très élevée et la dépréciation du taux de change, le pouvoir d’achat chute de manière alarmante poussant une large partie de la population dans la pauvreté.
Conséquence : Dollarisation de l’économie
Pour se protéger contre une inflation galopante et persistante, les agents économiques ont cherché une valeur refuge, en l’occurrence le dollar ( monnaie stable et sûre) pour éviter de voir la valeur de leurs actifs chuter sans cesse. Avec la dollarisation de l’épargne, les transactions ont commencé à être réalisées en devises. Progressivement, les devises ont été utilisées dans la fixation des prix courants et des contrats pour éviter les ajustements fréquents en monnaie nationale. De fait, la dollarisation s’est installée avec un pays qui garde sa monnaie nationale mais qui autorise et recourt à l’utilisation du dollar. « Pour mesurer cette dollarisation, on se réfère au ratio dépôts en devises sur le total de dépôts. Sur la période 1970 – 1988, le taux de dollarisation évolue entre 1,0 % et 6,5 %. Entre 1989 – 1990, ce taux monte jusqu’à 35,5 %. Ce ne sont que les prémisses. A partir de 1991, la dollarisation s’accélère pour dépasser 95 % en 1994 », explique Jean-Louis Kayembe.
Risques liés à la dollarisation
Un pan énorme de l’économie tourne avec des dollars. Les entreprises et les ménages ont des engagements et empruntent en dollars mais sont payés en Franc congolais. La dollarisation engendre la fragilité financière avec un risque de dépréciation inattendue et brutale de la monnaie nationale. Elle peut aussi représenter un risque de liquidité du système bancaire. Outre le risque de pénurie, approvisionner l’économie en dollars induit un coût élevé d’approvisionnement ou d’importations qui est forcément répercuté sur la clientèle.
Le rôle de la Banque centrale est aussi amputé. N’émettant pas de dollars, la BCC n’est pas prêteuse en dernier ressort en dollars et ne peut faire face à un risque de liquidité. A cause de la dollarisation la politique monétaire perd en efficacité. Ainsi, un des instruments de la politique monétaire, le taux directeur de la BCC, n’a aucun impact sur le taux d’intérêt appliqué aux crédits en devises. La dollarisation fait donc peser un lourd risque de perte de la souveraineté monétaire.
Comment dédollariser l’économie congolaise ?
Une première tentative de dédollarisation en janvier 1999 a échoué. Mener de manière coercitive, s’appuyant sur l’interdiction des transactions en devises (Décret-loi n° 177, du 8 janvier 1999), cette tentative a eu des effets pervers : un creusement de l’écart entre les taux de change sur le marché parallèle et le taux de change officiel, la réorientation des dépôts en devises du système bancaire vers le marché noir, une demande croissante des devises, la fuite de capitaux…
Une deuxième tentative, lancée en juillet 2012, avait pour objectif de renforcer l’efficacité de la politique monétaire. Cette fois, le gouvernement avait opté pour des mesures fiscales, monétaires, de change et financières incitant l’usage du Franc congolais, sans interdire l’utilisation des devises. Les résultats ont été mitigés. L’exécution des mesures prévues n’a été que partielle mais surtout, la résurgence de l’instabilité face aux crises liée aux chocs extérieurs (2015-2016) et 2020 a interrompu le processus. Après trois ans de baisse relative (2012-2016) sur fond de stabilité macro-économique, la dollarisation a regagné du terrain. La vulnérabilité de l’économie congolaise aux chocs extérieurs demeure le facteur explicatif de la persistance de la dollarisation, selon l’analyse déroulée. Elle alimente les incertitudes sur la capacité des autorités à pérenniser la stabilité du taux de change et de l’inflation, avec une perception négative des ménages par rapport à la monnaie nationale.
Les atouts de la RDC pour réussir la dédollarisation
Le pays peut compter sur la stabilité du cadre macroéconomique sur une longue période et la maîtrise de l’inflation, qui sont des conditions préalables. Grâce aux politiques monétaire et budgétaire cohérentes, le taux d’inflation moyen entre 2000 et 2021 s’est situé à 15 %, et à 9 % pour 2020-2021. La stabilité du taux de change est aussi un pré-requis. De ce côté-là aussi, l’amélioration est notable avec une dépréciation de la monnaie nationale contenue à -8,2 % en moyenne entre 2002 et 2021 contre -69,4 % entre 1998 et 2001. En l’absence des chocs extérieurs en 2020, ce taux se serait même situé à -3,6 % sur la période. Depuis vingt ans, le pays s’est engagé dans sa plus longue période de croissance économique positive un taux moyen de 5,7 %
Les autorités ont aussi mis en œuvres des reformes et pris des mesures afin de sortir de la dollarisation de l’économie, avec notamment l’émission des titres publics (bons et obligations) en monnaie nationale, la promotion, la modernisation et la diversification des moyens de paiement en Franc congolais (CDF), la mise en place du fonds de garantie des dépôts en Franc congolais.
A l’instar d’autres pays, la RDC peut dédollariser son économie lentement mais sûrement en s’appuyant sur la stabilité macroéconomique et le renforcement de la résilience de l’économie aux chocs extérieurs. Le prochain défi arrive déjà avec les effets dévastateurs de la guerre en Ukraine qui provoque une onde de choc qui fait flamber les prix des céréales et menace la sécurité alimentaire.
Anne Lauris