Les Tunisiens s’apprêtent à se rendre aux urnes ce dimanche, 6 octobre, pour le premier tour d’une élection qui semble pliée avant d’avoir commencé. L’enjeu principal réside dans le taux de participation et le nombre de suffrages que recueillera le président-candidat.
Si en 2014 et 2019 les élections étaient ouvertes, le processus, cette fois-ci, semble verrouillé de toutes parts, « cadenassé », selon de nombreux observateurs. Le pouvoir en place a usé de toutes les ficelles pour barrer la route à plusieurs prétendants. Ainsi, seuls trois dossiers de candidature à la magistrature suprême ont été retenus par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) parmi les dix-sept déposés, dont celui du président sortant Kaïs Saïed. Face à lui, les deux autres candidats sont Zouhair Maghzaoui, 59 ans, ex-député de la gauche panarabe, considéré par ses détracteurs d’« opposant de l’intérieur » pour avoir apporté son soutien au Président en 2021, et Ayachi Zammel, industriel quadragénaire, leader d’un petit parti libéral, Azimoun, peu connu. Pour l’Isie, quatorze dossiers ont été retoqués pour « nombre insuffisant de parrainages, manque de garanties financières ou non-respect des critères de nationalité ». Une justification qui peine à convaincre.
« C’est une élection jouée d’avance, déclare sans ambages l’analyste tunisien Hatem Nafti. On a réglé en amont la question de l’élection en éliminant tous les concurrents ayant des chances ».C’est le cas, par exemple, Mondher Zenaïdi, ancien ministre, et Abdellatif Mekki, un ex-dirigeant du mouvement Ennahda, considérés comme des candidats particulièrement sérieux. Ecartés dans un premier temps par l’Isie, ils ont été réintégrés dans la course présidentielle par des jugements du tribunal administratif. Jugement rejeté par l’autorité électorale malgré diverses condamnations accusant l’Isie d’être « intervenue pour fausser le scrutin en faveur de M. Saïed ». Mais le pouvoir ne s’est pas arrêté là pour garantir une présidentielle sur mesure à l’homme fort du pays. Ayachi Zammel, l’un des deux candidats retenus pour affronter Kaïs Saïed, a été arrêté le 2 septembre. Placé en détention, l’ex-député a été successivement condamné à vingt mois, puis six mois de prison pour « falsification de parrainages », avant d’écoper, le 1er octobre, d’une nouvelle peine de 12 ans, assortie de l’interdiction d’aller voter. C’est donc de sa cellule que l’industriel suivra le déroulement de l’élection présidentielle à laquelle il reste malgré tout candidat, selon son équipe de campagne.
Rétrécissement continue de l’espace démocratique
Illustre inconnu de la scène politique tunisienne, Kaïs Saïed, 66 ans, spécialisé en droit constitutionnel et juriste de profession, qui s’était présenté en candidat indépendant, a été démocratiquement élu en 2019, dans une ambiance de liesse populaire, après près de huit années de transition démocratique chaotique, avec des coalitions gouvernementales instables, un Parlement dominé par les islamo-conservateurs d’Ennahda dont les faits d’arme sont turpitudes et dérives. Bénéficiant d’une image de probité, d’homme intègre et incorruptible, son arrivée à la tête du pays est applaudie par les Tunisiens dans une atmosphère de « dégagisme » des islamistes. Elu au second tour avec 72,7% des suffrages, il était alors soutenu par une bonne partie des élites au début pour avoir « débranché » les islamistes qui faisaient la pluie et le beau temps. Mais, cela n’avait pas suffit pas à rétablir la stabilité des institutions, le nouveau chef de l’Etat ne disposant pas derrière lui de troupes pour dérouler son projet. Le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed décrète l’état d’exception, qualifié de « coup d’Etat » par l’opposition, s’octroie les pleins pouvoirs et revisite, en 2022, la Constitution pour instaurer un système ultraprésidentialiste. Le Parlement n’a presque plus de pouvoirs.
Sur sa lancée, le raïs de Tunis a détricoté, les unes après les autres, la plupart des institutions de contrepoids instaurées depuis l’avènement de la démocratie suite à la « Révolution du jasmin », qui a mis fin au régime de Ben Ali en 2011, avec une limitation continue de l’espace démocratique. Kaïs Saïed, qui ne gouverne désormais que par décret, instaure un régime où les répressions se multiplient en l’encontre des opposants et toute voix critique. « Tous les espoirs nés de la révolution de jasmin de 2011, avec l’éviction du dictateur Zine Ben Ali, sont douchés », soupire un opposant. Celui que les Tunisiens surnomment avec ironie le « Sphinx de Carthage » impose à la démocratie née du « Printemps arabe » un virage populiste et autoritaire.
En annonçant, le 5 août dernier, sa candidature pour un deuxième mandat, celui qui dirige le pays d’une main de fer depuis bientôt cinq ans dit vouloir« poursuivre le combat dans la bataille de libération nationale et d’autodétermination », assure« ne pas avoir d’autre choix », répondre à « l’appel sacré de la patrie » et « établir une nouvelle République ». Les promesses n’engagent que ceux qui y croient !
A.L.