RDC : François Beya préparait-il un coup d’Etat contre Félix Tshisekedi ?

Tentative de coup d’Etat déjouée ou simple machination ourdie par ses adversaires pour éliminer un sécurocrate influent, tout est encore possible au stade actuel. La garde-à-vue du conseiller spécial en matière de sécurité se poursuivait ce mardi matin, soit quatre jours après son interpellation. Haletant !

Parlera, parlera pas ? Le conseiller spécial en matière de sécurité du président Félix Tshisekedi a été conduit, samedi 5 février, dans les locaux de l’Agence nationale de renseignements (ANR) par les hommes du renseignement militaire pour être entendu par une équipe d’enquêteurs. Tous les Congolais ont aujourd’hui  les yeux braqués sur l’immeuble des « Grandes oreilles » de la République, situé dans le quartier d’affaires de la Gombe. C’est dans cette bâtisse ayant jadis abrité une banque locale qu’est détenu l’un des hommes les plus puissants du pouvoir. Une situation cocasse par excellence car François Beya a de fait autorité sur ladite agence. Mais les rôles sont inversés. Comment en est-on arrivé là ? De quoi accuse-t-on le sécurocrate en chef, nommé à ce poste en 2019, par le chef de l’Etat congolais ?

Tout commence samedi peu après midi. Les hommes du renseignement militaire débarquent chez François Beya. Manifestement, ils ne sont pas les bienvenus. L’accueil se passe mal, les esprits s’échauffent. « Y a-t-il eu méprise sur l’identité de la personne recherchée ? », s’interroge-t-on alors dans l’entourage de l’homme au crâne rasé que certains ont surnommé “Fantômas”. Ce dernier ne leur oppose aucune résistance. Si on vient le quérir chez lui dans ces conditions, c’est que l’ordre vient sans aucun doute d’en-haut. Sinon, qui oserait pénétrer dans l’enceinte de la résidence du patron du Conseil national de sécurité, le saint des saints de tous les organes de la présidence ? Portant des sandales aux pieds, une chemise à manches courtes noire et un pantalon sombre, François Beya accepte de bon cœur de suivre ceux qui sont venus l’appréhender. C’est inédit dans l’histoire contemporaine de la RDC. Imaginez une seconde feu Jean Seti Yale, l’un des hommes les plus puissants du régime Mobutu, décédé en 2013, être conduit manu militari dans les locaux des services secrets qu’il chapeautait. Impensable. Les Kinois et les Brazzavillois ont inventé un mot mi-lingala mi-français pour décrire la non-survenance d’une telle situation : « Insalamable ! »

Et pourtant, c’est bien arrivé le week-end dernier à Kinshasa. Un vrai séisme dans le landerneau politique et dans l’univers feutré des services de renseignement. Toujours est-il que quelques heures après son interpellation, François Beya reçoit, dans la soirée, la visite de son épouse et de son frère, accompagnés notamment de l’activiste des droits de l’Homme, Me Georges Kapiamba. A la sortie, ce dernier donne alors par voie de presse des nouvelles rassurantes sur les conditions de détention du patron du CNS. L’honneur est certes sauf, mais cela reste tout de même une véritable humiliation pour le conseiller spécial le plus en vue du régime. Certainement le plus craint aussi eu égard à ses attributions élargies, mais quelque peu érodées ces derniers temps. Quelle que soit l’issue de sa détention provisoire –  qui se prolongeait encore ce mardi matin – l’homme perdra de sa superbe. De plus, les spécialistes estiment, à ce stade de l’enquête, qu’il est fort peu probable qu’il retrouve son fauteuil à la tête de la CNS ou qu’il réintègre comme si de rien n’était le premier cercle de l’entourage présidentiel où chaque collaborateur cherche à étendre son influence au détriment des autres conseillers. « Qui va à la chasse perd sa place ! » Ainsi pourrait-on résumer la situation prévalant dans tous les palais présidentiels en Afrique.

Mais au fait que reproche-t-on au conseiller spécial en matière de sécurité de Félix Tshisekedi ? Silence radio du coté du cabinet présidentiel et encore plus du côté gouvernemental. L’heure est pourtant plus grave qu’on ne le dit. Il est surtout question d’une tentative de coup d’Etat déjouée, apprend-on du côté de l’UDPS, le parti au pouvoir. Quant aux spécialistes du monde du renseignement consultés par Enjeux africains, aucun d’eux ne veut s’exprimer au stade actuel de la procédure. « Il faut attendre d’en savoir davantage sur le vrai motif d’interpellation de François Beya », commente toutefois un sénateur sous couvert de l’anonymat. L’hypothèse d’une tentative de déstabilisation du pouvoir semble se confirmer pour un cadre de l’UDPS. Qui en est le cerveau ? Qui en est le commanditaire ? C’est un peu tôt pour le savoir avec exactitude.

 Il serait toutefois reproché au patron du CNS, que l’on dit proche de l’ancien président Joseph Kabila, d’avoir participé à des réunions ou d’avoir échangé avec des personnes, non identifiées, sur une action possible à mener. L’auteur ou les auteurs présumés devaient attendre que Félix Tshisekedi termine d’abord son mandat d’une année comme président en exercice de l’Union africaine avant de passer à l’acte. En suivant cette logique, on en déduit aisément que cette action devait se produire après le 5 février. Et c’est justement le jour où le chef de l’Etat congolais passe le témoin à son homologue sénégalais, Macky Sall, à la tête de l’organisation panafricaine, que les éléments des services secrets ont choisi de mettre la main sur François Beya. D’autres arrestations, notamment des civils, voire des militaires devraient suivre, nous dit-on. Sur les réseaux sociaux, une liste des personnalités ou des catégories concernées par l’affaire circule déjà. Mais on est bien là dans un domaine qu’affectionnent particulièrement les Congolais : Radio trottoir.

Reste que les spécialistes supputent déjà sur ce que pourrait dire François Beya ­— qui connaît mieux que quiconque le monde du renseignement congolais pour y évoluer depuis Mobutu jusqu’à aujourd’hui —, aux enquêteurs lors de sa longue audition. Se mettra-t-il volontiers à table balançant ainsi d’autres complices ? Ou niera-t-il tout en bloc criant alors à une machination ourdie par ses adversaires tapis dans l’ombre au palais de la Nation et surtout à la cité de l’Union africaine où réside et travaille le numéro un congolais ? Les prochaines heures seront décisives. D’autant qu’il s’agit là d’une affaire sensible qui semble tenir en haleine tous les Congolais !

La Rédaction