RDC : Le ministre des Finances, Nicolas Kazadi, s’explique

Depuis quelques jours, mise à part la formation du nouveau gouvernement qui tarde à venir, on ne parle plus que de scandale de détournement de fonds publics, corruption ou de rétrocommissions liés à la réalisation d’un millier de forages dans de nombreuses localités du pays. Une affaire qui n’est pas sans rappeler le scandale du « Projet des 100 jours » du début du précédent mandat du président Félix Tshisekedi.

En 2021, le gouvernement congolais, à travers le ministère du Développement rural, signe avec une société, le consortium Stevers Construct-sotrod Water, un accord pour l’installation de mille forages et de construction de stations mobiles de traitement d’eau dans mille localités à travers la RDC. Montant évalué du projet : 398 982 383,41 dollars. Un coût pointé, en 2023, excessif par le rapport conjoint de l’Observatoire de la dépense publique (ODEP) et la Ligue congolaise de lutte contre la corruption (LICOCO). Le 12 avril dernier, les deux organisations, dans un communiqué, parlent de possible détournent de fonds, de surfacturation du marché public, et appellent à la mise en place d’un comité d’exécution et de suivi du projet. Le 18 avril, c’est autour du procureur général près la cour de cassation, Firmin Mvonde, de charger le directeur général du Bureau technique de contrôle (BTC) à se rendre au siège de Stevers pour obtenir des informations sur l’exécution dudit projet. « Il y a urgence », a-t-il écrit dans un réquisitoire. L’affaire a alors pris une dimension de corruption nationale. Beaucoup doutent de la procédure de la passation du marché entre le gouvernement et la société Stervers, d’autant que son paiement aurait été effectué en « procédure d’urgence ».

Devant le tollé que suscite ce « énième scandale », selon certains, le ministre de Finances, Nicolas Kazadi, est monté au créneau, le 24 avril, pour rejeter les « allégations de surfacturation » liées au projet. Devant la presse, il a d’abord posé les jalons. « Je ne suis pas venu me justifier (…), mais pour m’expliquer », a-t-il déclaré en préambule. Pour lui, « ce problème de forages et de lampadaires illustrent parfaitement la difficulté dans laquelle nous sommes depuis 30 ans : nous avons une image de pays corrompu. On ne peut pas tout changer du jour au lendemain, mais poser des actes pour avancer. C’est ma motivation, même si cela n’est pas toujours facile face à des habitudes et un système en place ». Et de rappeler la volonté du pouvoir à mener une lutte acharnée contre la corruption. « Le président de la République en incarne la volonté. En termes d’engagements de politique pour la lutte contre la corruption et la transparence, il est le champion n°1. Sans sa volonté, il n’aurait pas instruit pour qu’on libère les corps de contrôle : IGF, Cour des comptes, CENAREF. La réhabilitation de la Cour des comptes était d’ailleurs une exigence du FMI », a indiqué le ministre, rappelant au passage l’adhésion du pays au groupe Egmont, « qui permet d’échanger des informations sensibles au niveau mondial ». Mais, pour Nicolas Kazadi, « le Président ne peut pas tout faire. C’est le travail de tous les Congolais. Notre problème, est que nous manquons de confiance et parfois sommes de mauvaise foi. C’est un travail quotidien ».

Les forages, un dossier antérieur

Revenant sur la genèse du projet, qui fait couler tant d’encre, le ministre a souligné :« Je me bats dans un système installé », comme la question des forages. « Le dossier n’a pas commencé avec nous. Il a été signé par un autre ministre du Développement, il est passé par un marché public et validé. Le dossier nous a été transmis quand nous sommes arrivés aux affaires. Le nouveau ministre du Développement rural nous demande de faire avancer ce dossier. En 2021 pendant le Covid, la question de l’eau de l’hygiène du lavage des mains est cruciale. Le dossier est transmis au ministère des Finances de bonne foi », a-t-il rappelé. Son ministère a toutefois procédé à un réexamen du financement : « Je veux bien payer, mais après quelques vérifications dans mon service. Mes services trouvent cependant que 400 000 dollars en prix moyen pour une station, cela leur paraît trop élevé et qu’il est difficile d’accepter. » 

Concernant le paiement, l’argentier congolais a indiqué que « le ministre précédent des Finances s’était engagé à verser le financement en 5 tranches annuelles de 80 millions de dollars pour atteindre les 400 millions de dollars ». « Une somme que l’Etat ne pouvait verser tous les ans », dit-il. Le prestataire propose alors un versement de 80 millions la première année et de trouver le reste en financement privé ». Mais les choses se compliquent : « Après la première année, le prestataire propose un paiement mensuel par mois en fonction de la durée du prêt. Nous étions d’accord. La première année, je ne peux pas payer d’un coup 80 millions de dollars, mais en fonction de la trésorerie. En trois paiements, nous arrivons à 71 millions de dollars.» Mais, dans le même temps, les autorités s’inquiètent de l’avancement des travaux et de la lenteur des livraisons. « Je ne payerais pas un dollar de plus tant que je n’ai pas l’équivalent en stations par rapport au 71 millions versés », a alors décidé, en août 2023, le ministre Kazadi : « En période électorale, beaucoup de pression pour le développement des services. Les 241 stations, qui correspondent aux 71 millions de dollars, n’ont pas été livrées. »

Rien à se reprocher

« Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Qui a surfacturé ? Moi j’ai obtenu une baisse des prix. Et je reste ferme : pas de paiement avant la livraison équivalent aux 71 millions déboursés », s’est-il justifié. Balayant toute la polémique née aujourd’hui autour de ce projet et qui, selon lui, « est une façon de détruire, pas seulement un individu, mais le gouvernement, un pays, dans quel intérêt ? S’il y a une quelconque surfacturation dans ce dossier, je n’y suis pour rien. Le procureur général a fait une réquisition d’information pour s’assurer de la livraison de toutes les stations, moi je demande aussi d’ajouter à ce problème de livraison une vérification du coût. Comme cela, ce sera clair. Au prestataire de rendre des comptes ». Ajoutant « je n’interviens qu’à la fin. Pas lors de la conclusion du contrat, ni lors de la validation du marché public, ni lors de la validation par le Premier ministre, ni lorsque le dossier est revalidé par le conseil des ministres ». Les choses ont le mérite d’être claires !

Dans l’autre dossier, celui de fourniture de 2 900 lampadaires, pour un coût unitaire de 4 900 euros à la ville de Kinshasa, qui fait également des vagues, Nicolas Kazadi a expliqué que son ministère est intervenu. Tout en reconnaissant le coût excessif de ces lampadaires importés, alors que « chez nous nous avons des lampadaires à 1500 dollars ». Le ministre a appelé l’inspecteur général des finances, dans le cadre de lutte anti-corruption, et a demandé « un suivi du paiement, avec  l’ouverture d’un compte au nom de l’Hôtel de ville, avec 30 % de l’argent versé pour les prestataires locaux. Le reste, 70%, est sécurisé par l’émission d’une lettre de crédit directement pour le fournisseur étranger. Ce qui permet des sécuriser le paiement ». Car, « il arrive que l’on paye des lampadaires très cher et au moment de la livraison on se retrouve avec des lampadaires moins chers ». Dans cette affaire, « c’est à l’Hôtel de ville de se justifier », a alors asséné le ministre. « Ces deux dossiers, c’est l’occasion de montrer ce que l’on fait au ministère des Finances. Deux parmi de nombreux. On revoit les prix, on annule les contrats… pour faire gagner de l’argent au Trésor », a-t-il ainsi conclu.

A.L.