RDC : Luc Gérard Nyafe rejette tout conflit d’intérêts pour l’aménagement de la ZES de Maluku

La Zone économique spéciale (ZES) de Maluku va enfin voir le jour, avec la désignation d’un aménageur, la firme Strategos Group. Mais le contrat signé entre le gouvernement congolais et la société de Luc Gérard Nyafe est critiqué par nombre d’observateurs. De passage à Paris, début février, et avant de s’envoler pour Bogota, l’homme d’affaires s’est voulu rassurant, écartant tout soupçon de favoritisme ou conflit d’intérêts le concernant. Il en a aussi profité pour préciser le rôle qu’il joue depuis mars dernier auprès président congolais, Félix Tshisekedi.

Le jour où le président Félix Tshisekedi a proposé à Luc Gérard Nyafe une mission d'ambassadeur itinérant

L’homme d’affaires d’origine congolaise, Luc Gérard Nyafe, devrait pourtant être un homme heureux, mais ne l’est finalement qu’à moitié. Et pour cause, sa société Strategos, basée à Bogota, en Colombie – d’où il tisse sa toile couvrant une dizaine de pays – a signé, fin janvier, un contrat avec l’Etat congolais pour aménager la Zone économique spéciale de Maluku, située à quelque 70 km au nord-est de Kinshasa, en bordure du fleuve Congo. L’accord a été paraphé par le ministre congolais de l’Industrie, Julien Paluku et ce patron globe-trotter, qui évolue simultanément en Amérique latine, en Amérique du Nord, en Europe et, bien entendu, en Afrique. Il s’agit de concrétiser un vieux projet qui dort dans les cartons depuis une douzaine d’années. «Affaire conclue !», auraient ainsi pu titrer à la une les journaux au terme d’un long processus. Mais voilà, sur les réseaux sociaux, les critiquent pleuvent, reprochant à l’homme d’affaires son appartenance au cabinet présidentiel, pointant un conflit d’intérêts. En effet, depuis le 7 mars 2019, le président Félix Tshisekedi a confié une mission d’ambassadeur itinérant à  Luc Gérard Nyafe. On l’a ainsi vu aux côtés du chef de l’Etat lorsque ce dernier a reçu notamment le cofondateur de Microsoft, Bill Gates, le richissime homme d’affaires américain. Luc Gérard Nyafe a assisté également à d’autres rendez-vous à caractère économique du président congolais, l’an dernier, à New York et à Washington. Des critiques et soupçons qui n’ont pas laissé l’homme d’affaires indifférent, il  s’en explique.

Avec  suffisamment de pédagogie, il a préféré relater d’abord la chronologie des opérations qui ont abouti à la sélection de Strategos. D’après lui, tout commence en 2008 lorsque, sous l’impulsion de la Banque mondiale, la RDC lance un programme dans l’espoir de se doter de plusieurs ZES à travers le pays. Et ce, afin d’attirer des investisseurs susceptibles de créer des emplois. Mais le pays ne parvient pas à faire avancer le dossier. Après plusieurs essais ratés, dont le dernier en 2016, il faut une impulsion de la Banque mondiale pour qu’un cabinet international de conseil spécialisé en transactions et dans la gestion des appels d’offres soit recruté. Sa mission ?  Gérer le processus d’appel d’offres pour le site de Maluku. Un appel d’offres est alors lancé en 2017, auquel participe Strategos. Quatre offres parviennent aux organisateurs.

Mais ces derniers estiment qu’il en faut davantage. Ils relancent ledit appel par voie de presse. Au total, sept enveloppes sont envoyées finalement par les soumissionnaires, dont Strategos, qui maintient son offre initiale. Une fois l’aménageur sélectionné, la procédure prévoyait qu’allait s’ouvrir une période de 12 mois de négociations du contrat d’aménagement. Aux yeux des organisateurs, cette phase de discussions était d’autant plus nécessaire que le site de Maluku constitue la première ZES à créer devant servir aussi de pilote aux futures zones franches. Le contrat à négocier entre l’Etat congolais et l’aménageur doit définir, par ailleurs, les obligations de ce dernier, la durée du partenariat, etc.

Au terme du processus de sélection, la société Strategos est informée qu’elle a présenté la meilleure offre. «Nous sommes alors entrés dans une phase de négociations du contrat, qui s’est tenue à Washington, explique Luc Gérard Nyafe. Y prennent alors part un cabinet américain spécialisé en transactions (conseiller de la RDC), des représentants de la RDC ainsi que nos propres conseillers en transactions.» Après les élections générales de décembre 2018, il a fallu ensuite attendre qu’un gouvernement soit mis en place et un décret régulateur approuvé pour pouvoir enfin signer le contrat. «La signature intervenue, fin janvier, n’est que la dernière étape d’un long processus démarré en 2008 pour la RDC et en 2017 pour Strategos», rappelle Luc Gérard Nyafe. L’accord conclu avec le gouvernement prévoit notamment un investissement de 125 millions de dollars pour développer la ZES de Maluku, qui couvre une superficie de 211 hectares. Il reste néanmoins certains points que  le gouvernement doit encore régler. Mais la commercialisation des emplacements devrait démarrer en septembre, si tout se déroule bien.

Reste que pour Luc Gérard Nyafe, il se pose aussi un vrai challenge pour la RDC afin de pouvoir conduire des réformes et faire aboutir des projets dans des délais raisonnables. Douze ans pour concevoir une zone franche et sélectionner un aménageur est toutefois un délai excessivement long. D’autres projets en gestation ou déjà réalisés sont, par exemple, restés longtemps dans les tiroirs. Il s’agit notamment du projet de barrage hydroélectrique Inga III, du pont Kinshasa-Brazzaville, qui doit relier les deux capitales, du port en eaux profondes de Banana, de la fibre optique, etc. Luc Gérard Nyafe espère désormais une prise de conscience collective. «Il faut absolument, glisse-t-il, dynamiser la capacité du pays à prendre des décisions et à mener à bien des appels d’offres. Si celui de la ZES de Maluku avait été mené avec diligence et dans les délais prévus au départ, on ne parlerait pas de conflit d’intérêts. Ce sont les retards qui nous amènent à évoquer cette situation, qui n’existe pas, eu égard à la chronologie des opérations.» Le groupe Strategos a cependant agi, de son côté, en tenant compte de la nouvelle donne. Afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêts, Luc Gérad Nyafe a accepté de se retirer de la gestion du groupe qui a été confiée à des experts indépendants. « Et ce, à l’instar de ce qu’il se fait aux Etats-Unis et ailleurs en pareil cas », souffle l’ambassadeur itinérant.

Et d’ajouter que lorsqu’il rencontre le président de la République pour la première fois, c’est d’abord comme un investisseur inquiet du climat des affaires, de l’instabilité juridique, du harcèlement bureaucratique et de la lenteur dans la prise de décisions, tous éléments qui creusent le retard de développement du pays. Venu à la présidence avec sa seule casquette d’hommes d’affaires, il aborde aussi avec le chef de l’Etat la question centrale de l’emploi des jeunes et celle du déficit de création d’emplois neufs pour l’avenir du pays. «C’est là, confie Luc Gérard Nyafe, que le président me parle de sa détermination à réduire la pauvreté extrême et à inverser la tendance. Il m’invite alors à le rejoindre pour que mon expérience d’investisseur vienne compléter celle de ses autres conseillers. Je lui ai exprimé mon inquiétude par rapport à la perception de conflit d intérêts. J’ai été très clair sur mes engagements économiques en cours ou en développement en RDC, ainsi que sur ma situation patrimoniale atypique. C est donc en toute transparence et en connaissance de cause qu’il maintient son invitation à l’accompagner dans sa mission. Car, il juge que ma connaissance pratique des obstacles et difficultés que rencontrent les entreprises et mes relations dans le monde des affaires à l’extérieur du pays peuvent être plus utiles que problématiques.»

Luc Gérard Nyafe précise enfin que son rôle est seulement consultatif et non exécutif. En faisant de lui son ambassadeur itinérant, le président Félix Tshisekedi ne lui a donné aucune attribution particulière. «Je suis très honoré de cette confiance et j’essaie de faire de mon mieux pour promouvoir la RDC comme destination pour les investissements et la nécessité de donner de l’oxygène au monde des entreprises, essentiellement en mettant fin au harcèlement bureaucratique et en appliquant les réformes nécessaires pour simplifier la vie de l’entreprise et lui permettre de créer de la valeur en RDC.»

Luc Gérard Nyafe intervient aussi à la fois pour mieux structurer les grandes réformes sociales qui tiennent à cœur au président congolais, comme l’éducation et la santé pour tous, et trouver des partenaires qui l’accompagnent dans le financement de ces programmes. «Mais pour que ces programmes perdurent, souligne-t-il, l’État devra augmenter rapidement ses recettes. Une telle  augmentation ne peut pas se faire par une hausse de la pression fiscale, qui est déjà énorme, mais plutôt par un élargissement de l’assiette et la réduction de l’évasion fiscale. Pour cela, le pays a besoin notamment d’entreprises saines et rentables.»

Avant d’embarquer à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle pour Bogota où il est installé, Luc Gérard Nyafe, ingénieur commercial passé par l’ICHEC (Bruxelles), titulaire d’un MBA de l’IMD (Lausanne), ainsi que d’une maîtrise en défense nationale de l’École de guerre colombienne (ESGUE), en appelle à un changement d’ordre culturel et incite les Congolais à adopter un nouvel état d’esprit face à l’investisseur.

Jean-Mathis Foko

Luc Gérad Nyafe et le ministre de l’Industrie Julien Paluku ont signé, fin janvier, le contrat pour l’aménagement de la ZES de Maluku.
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