Mali : le colonel Assimi Goita a gagné son bras-de-fer contre la CEDEAO

Le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga

Décrété par la CEDEAO en janvier dernier, l’embargo contre le Mali a vécu. Le président de la transition malienne a finalement obtenu gain de cause lors du Sommet d’Accra, le 3 juillet.

Resté droit dans ses bottes, le président de la transition malienne, le colonel Assimi Goita aura donc mis finalement six mois pour gagner son bras-de-fer avec la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) qui avait décrété le 9 janvier dernier un embargo à l’encontre du Mali, dont la « junte » militaire était accusée de repousser sans cesse la date des élections et le retour à l’ordre constitutionnel.

Après un Sommet extraordinaire qui, tenu le 4 juin dernier à Accra (Ghana) sous la présidence du Président ghanéen Nana Akufo-Addo, n’avait pas réussi à se mettre d’accord sur une levée – même partielle et progressive – des sanctions économiques prises à l’encontre du Mali, la 61ème Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO a pris acte, le 3 juillet à Accra, du nouveau calendrier électoral présenté par les autorités maliennes : un referendum organisé en mars 2023, des élections législatives en octobre 2023 et une élection présidentielle en février 2024.

Avant de confier la présidence de la CEDEAO au Président de Guinée Bissau, Umaro Sissoko Embalo, le 3 juillet à Accra, les dirigeants des quinze pays membres de la CEDEAO se sont donc résolus à faire contre mauvaise fortune bon cœur et, sous la médiation avisé de l’ancien Président nigérian Goodluck Jonathan, à lever cet embargo qui ne pénalisait pas que le Mali.

« Venir aujourd’hui au Mali est un acte de foi »

Fort de ce succès inespéré, le colonel Goita – qui vient donc de raffermir son  pouvoir à Bamako – a aussitôt appelé tous ses compatriotes à l’ « Union sacrée ». La Transition durera encore près de deux ans pour s’achever officiellement en mars 2024, avait-il d’ailleurs laissé entendre en cosignant dès le 6 juin un décret avec le Dr Choguel Maïga, son Premier ministre.

En ouvrant le XXIIème Forum de Bamako,qui s’est tenu du 26 au 28 mai, le chef du gouvernement malien – dont on disait pourtant les derniers jours comptés – avait habilement changé de ton et saluer en ces termes les délégation venues de l’étranger : « Venir aujourd’hui au Mali est un  acte de foi ».

« Cet embargo n’a aucun sens et tout le monde en souffre : les Sénégalais et les Ivoiriens comme les Maliens ! », soulignait lors de ce même Forum Aïssata Touré Coulibaly, présidente du Réseau des Femmes Opératrices économiques du Mali, qui compte plus de 6.700 membres. Avant d’ajouter : « J’espère de tout mon cœur que nos dirigeants (de la CEDEAO et de l’UEMOA) en prennent conscience, surmontent leurs querelles politiques pour avoir pitié de nos peuples et sauver nos économies qui sont entrain de s’écrouler.» Cruellement déçu début juin, son espoir a finalement été exhaussé un mois après.

Car cet embargo, qui asphyxiait l’économie malienne, fut en réalité pris à la va-vite et paraissait d’autant plus incompréhensible qu’il pénalisait sérieusement les voisins du Mali, à commencer par la Côte d’Ivoire et le Sénégal, dont les ports d’Abidjan et de Dakar sont ses deux principaux débouchés maritimes. Les frontières du Mali sont donc rouvertes et le pays peut commercer librement avec tous ses voisins. C’est une bonne nouvelle pour toute l’Afrique de l’Ouest.

De « nouvelles solidarités » se sont faites jour au Forum de Bamako

Depuis les sanctions de la CEDEAO en janvier dernier,on aurait pu croire que le Mali s’était replié sur lui-même et vivait en autarcie… Mais, en réalité, des « solidarités nouvelles » se sont créées entre des pays ayant le sentiment d’être devenus des « parias » pour certains de leurs frères. Comme cela s’est clairement manifesté lors du dernier Forum de Bamako.

« C’est un véritable miracle que le Forum ait bien eu lieu cette année, malgré les difficultés de la Transition que vit notre pays depuis de longs mois », soulignait Abdoullah Coulibaly, son président-fondateur. Avant d’ajouter avec philosophie : « C’est dans les moments difficiles – il est vrai – que l’on reconnaît ses vrais amis. Le Forum de Bamako est une grande famille et ses amis n’ont pas manqué à l’appel.» Le Mali étant alors privé de liaisons aériennes avec ses principaux voisins, il fallait pourtant du courage pour y venir à cette XXIIème édition consacrée à un thème pourtant d’actualité : « Femmes, Paix, Sécurité et Développement ».

Et des « solidarités nouvelles» se sont manifestées avec d’importantes personnalités venues de pays frères comme la Guinée et le Burkina Faso, qui se sont retrouvés eux-aussi dans le collimateur de la CEDEAO pour la seule et unique raison qu’ils ont connu des « putschs militaires » comme le Mali.

La Guinée était ainsi représentée par une importante délégation de femmes venues de Conakry, conduite par Maïmouna Yombouno, 1ère vice-présidente du Conseil national de transition (CNT), accompagnée notamment de Mariama Diallo Sy, ex-ministre du Tourisme. Le Burkina Faso était, quant à lui, représenté par Salimata Nebié-Condombo, ministre du Genre et de la Famille du gouvernement de Transition, ainsi qu’Alice Ouedraogo et Madeleine Delma, jeunes étudiantes en agro-économie à l’Institut Polytechnique de Ouagadougou et lauréates du Prix d’excellence de la Fondation Forum de Bamako. PCA d’Ecobank Mali, Boubacar Sidiki Traoré leur a d’ailleurs remis un chèque important pour soutenir leurs activités données en exemple à la jeunesse africaine.

« Que les femmes se lèvent pour défendre leurs droits et pousser à la réconciliation nationale », devait lancer à la tribune la ministre burkinabè en soulignant qu’à Ouaga, comme à Bamako, « la Paix ne saurait se construire sans le triptyque Justice, Vérité et Réconciliation ». Tout un programme !

« Ce pays n’est pas plus risqué et dangereux qu’un autre… »

« Tout va bien aujourd’hui au Mali, où la vie reprend, car les autorités ont tenu bon », se félicite aujourd’hui Mariam Cissé, consultante franco-malienne engagée dans les affaires et toujours entre Paris et Bamako. « Les Maliens, observe-t-elle, sont fatigués d’une guerre qui dure depuis la chute d’ATT en mars 2012, il y a plus de 10 ans. La seule chose qu’ils demandent aujourd’hui, c’est de retrouver enfin la sécurité et leur dignité pour que les gens puissent vaquer tout simplement à leurs occupations ». C’est pratiquement chose faite.

Elle se plaît à rappeler le sentiment de fierté des Maliens que résume parfaitement le proverbe dogon : « Saya ka bisa malo yé ». Ce qui signifie en bambara : « Mieux vaut mourir que perdre la face ! »
« Chez nous, c’est vraiment culturel, ajoute-t-elle. Les Maliens se sont sentis humiliés… En janvier dernier, l’embargo nous est tombé dessus comme la foudre. Le Mali s’est senti trahi par la CEDEAO et le peuple d’autant plus incompris et humilié que la CEDEAO est née à Bamako ».

Désigné comme le « meilleur entrepreneur africain de l’année », le 25 mai dernier à Tunis lors du FITA (Financing Investment and Trade in Africa), Mossadeck Bally ne dit pas autre chose. «La levée de l’embargo de la CEDEAO ? C’était le vœu de tous les Maliens car l’économie n’a rien à voir avec la politique. Ces sanctions faisaient un tort considérable aux entreprises et à l’économie du pays ».

Avec réalisme, le patron du Groupe hôtelier Azalaï se plaît par ailleurs à souligner que « le Continent présente des opportunités d’investissements, mais souffre d’une mauvaise image : on ne parle jamais des choses qui fonctionnent chez nous, alors même que certains médias occidentaux ne parlent que de terrorisme, d’enlèvements, d’épidémies, de famines ou de corruption… ».

Avant d’ajouter : « les entreprises étrangères ont une perception du risque en Afrique bien plus élevée que le risque lui-même ». Si l’on observe, bien sûr, les consignes élémentaires de sécurité, « le Mali n’est pas plus risqué et dangereux aujourd’hui qu’un autre pays pour y investir et faire des affaires ».

Le colonel Goita a donc misé sur ce sentiment national “outragé” pour rassembler une large partie de la population derrière lui. Et l’histoire lui aura finalement donné raison car la CEDEAO – dont les exigences étaient exorbitantes – a été contrainte de manger son chapeau et de faire machine arrière. Une grande première qui fait la joie de tous les Maliens.

De notre envoyé spécial à Bamako, Bruno FANUCCHI