Les Algériens se rendent aux urnes ce 7 septembre pour désigner leur nouveau chef de l’Etat pour les cinq prochaines années. Sur les seize dossiers de candidature à la magistrature suprême déposés, seuls trois ont été retenus par l’Autorité nationale indépendante des élections.
Initialement prévue pour se tenir en décembre prochain, l’élection présidentielle en Algérie a été avancée, le 21 mars, de quatre mois pour se dérouler le 7 septembre. Une surprise pour de nombreux Algériens et observateurs qui pronostiquaient plutôt un report. Aucune explication, ni raison n’a été apportée à cette décision mais, affirme un fin connaisseur du pays,« en Algérie, plus qu’ailleurs, le chef de l’Etat n’est pas le maître des horloges, ne gère pas le chronogramme des processus électoraux, mais l’armée ». Tout comme « c’est au sein de l’institution militaire que se décide la nomination de celui qui doit diriger le pays ». En effet, si l’actuel locataire du palais d’El-Mouradia, siège de la présidence, peaufinait depuis quelques mois déjà sa candidature à un deuxième mandat, il lui a fallu attendre, pour se lancer dans la course, le feu vert de l’armée. Une institution au sein de laquelle cohabitent plusieurs clans aux intérêts divergents. La désignation du candidat du Front national de libération (FNL, au pouvoir depuis l’indépendance) fait l’objet de nombreux conciliabules entre les différentes parties des hommes en kaki avant que l’heureux élu n’annonce, officiellement, sa candidature. La déclaration tardive, le 11 juillet, de la candidature du président sortant à un nouveau quinquennat procède de cette alchimie entre les différents clans de la « dynastie des généraux », ironisent les Algériens, de l’Armée nationale populaire qui dirige de fait le pays.
Liberté d’expression confisquée
Avec l’onction de l’état-major des armées, Abdelmadjid Tebboune, 78 ans, qui part à la conquête d’un second mandat sous l’étiquette d’indépendant, a un boulevard devant lui malgré un maigre bilan. L’économie patine, hormis le secteur des hydrocarbures, le chômage touche de plein fouet les jeunes, qui n’aspirent qu’à partir vers l’Occident. Sur le plan des libertés, l’homme fort d’Alger a fermé tous les espaces d’expression depuis son accession au pouvoir. Le mouvement du Hirak, qui a provoqué la chute d’Abdelaziz Bouteflika et contesté sa propre élection en 2019, est neutralisé et mis hors de tout mouvement. Depuis 2022, toute contestation dans la rue est interdite sous peine de poursuites judiciaires pour « atteinte à l’unité nationale ». Les partis d’opposition ? Mis sous cloche et plusieurs de leurs dirigeants en prison ou en exil, ils peinent à s’exprimer dans un environnement politique hermétique. La presse est muselée. Dans le pays, « verrouillé » est en tête du hit parade des mots utilisés pour qualifier le régime en place.
Les deux seules femmes dans la course écartées
Pour le scrutin présidentiel de ce 7 septembre 2024, Abdelmadjid Tebboune, haut fonctionnaire de carrière, plusieurs fois ministre, Premier ministre, affrontera deux candidats, l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), n’ayant validé que trois candidatures sur les 16 déposées. Parmi les dossiers retenus, on note, hormis celui du président sortant, ceux de Youssef Aouchiche, 41 ans, premier secrétaire du Front des forces socialistes (FFS), qui rompt avec la politique de boycott prônée depuis la présidentielle 2019 par le plus vieux parti d’opposition du pays, ainsi que d’Abdelaali Hassani, 57 ans, leader du parti islamiste Mouvement de la société pour la paix (MSP). Dans les dossiers recalés, il y a ceux des deux seules prétendantes à la magistrature suprême : Saida Neghza, présidente de la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA) et Zoubida Assoul, leader de l’Union pour le changement et le progrès (UCP). Pour de nombreux Algériens, les deux femmes sont victimes de « crime de lèse majesté, car l’une comme l’autre, n’a pas la langue dans sa poche ».
La première a « osé », en 2023, adressé une lettre au chef de l’Etat pour critiquer les dérives du comité interministériel qu’il a mis en place pour établir des redressements fiscaux aux hommes d’affaires. Fort caractère, elle n’hésite pas à porter un discours tranchant contre le pouvoir. Craignant pour sa sécurité, elle a dû s’exiler du pays quelques mois, avant de revenir récemment pour se lancer dans la course à la présidentielle. Il en est de même de Zoubida Assoul. Ancienne magistrate devenue avocate, femme de caractère, elle est connue dans tous les prétoires du pays pour plaider, entre autres, la cause de journalistes emprisonnés, de politiciens ou militants de mouvements associatifs, ainsi que des détenus pour leur participation au mouvement Hirak, dont elle fut l’une des figures de proue.
Comme depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1962, une poignée de généraux de l’Armée nationale populaire a sélectionné un candidat que des millions d’électeurs iront approuver dans les urnes par le suffrage universel, sans sourciller. Pour crédibiliser le processus électoral et se conformer aux standards internationaux, le pouvoir autorise la présence de quelques candidatures, bien ciblées, pour jouer le rôle de concurrents — « des sparring-partners », raillent certains —, mais qui ne peuvent battre le candidat de la nomenklatura. A moins d’un séisme !
Jean Ayoun