« Dites à votre ministre de la Culture de me décorer car j’ai participé au rayonnement de la musique rumba en côte d’Ivoire. » Ainsi s’est exprimé, le 24 octobre 2020, Hamed Bakayoko en rencontrant, à Abidjan, la Congolaise Deborah Mutund, qui présente l’émission « Le chœur des femmes » sur Canal+ Afrique. Le ton se voulait certes badin, mais au fond de lui, le défunt Premier ministre ivoirien était certainement plus sérieux. De l’avis général, la RDC lui doit bien une fière chandelle. « Même à titre posthume, il mérite une telle médaille. Mais il aurait tout de même fallu la lui décerner de son vivant pour services rendus à notre culture», regrette pour sa part la chanteuse Barbara Kanam, encore sous le choc après avoir appris, mercredi soir, la nouvelle de la disparition de ce grand mécène. Si elle insiste tant, c’est que la RDC lui devait bien ça. Reste à savoir si les autorités de ce grand pays d’Afrique centrale voient, elles aussi, les choses de la même manière. Une reconnaissance officielle renforcerait davantage les liens culturels déjà étroits entre les deux peuples.
Installée en Côte d’Ivoire en 1996, Barbara Kanam a rapidement fait la connaissance du patron de la radio Nostalgie, en plein essor. « Cet homme plein de vitalité et de dynamisme était comme un grand-frère pour moi », témoigne la vedette internationale de la chanson congolaise qui sortira, quatre ans plus tard, son premier album intitulé « Mokili » (en français, le monde). Comme pour tous les artistes, petits et grands, Nostalgie a contribué à accroître sa notoriété. Hambak savait se montrer généreux envers les stars congolaises, sans exception. Ce que confirme indirectement Koffi Olomide : « Il faut vraiment chercher pour trouver un artiste que Hamed n’a pas aidé. » Joint par téléphone, la méga-star congolaise refuse encore d’y croire. Son ami et frère s’en est vraiment allé. Plongé depuis lors dans « une profonde douleur et un chagrin indescriptible », le Grand Mopao se remémore les merveilleux moments passés avec lui. Ils sont en effet innombrables !
Et pour cause, Hamed Bakayoko et Koffi Olomide étaient des amis de 35 ans. Au moment de leur rencontre, le premier est encore dans la presse écrite, essayant alors de faire émerger son journal, Le Patriote. « Cela lui a valu beaucoup de démêlés avec le pouvoir de l’époque, mais c’était un battant», se souvient l’artiste. Le meilleur était donc à venir. En lançant ensuite, avec succès, sur la bande FM, la radio Nostalgie, Hamed Bakayoko peut enfin allier travail et plaisir. Les tubes congolais sont diffusés à longueur de journée sur les antennes de la station privée. « Il était un vrai mélomane aimant non seulement la musique congolaise, mais aussi ceux qui ont fait de la chanson leur métier », reconnaît Koffi Olomide. Hambak a fait venir en Côte d’Ivoire tous les groupes congolais en vogue. Devenu ministre en 2003, il a continué indirectement à les produire. En 2017 et 2019, par exemple, le groupe mythique Zaïko Langa-Langa s’est produit en spectacle pendant les fêtes de Noël à Abidjan. Et ce, grâce notamment à lui.
Hamed Bakayoko savait faire la différence entre son travail pour le gouvernement et sa propension à faire la fête avec ses « potes ». « Aucune loi n’interdit à un ministre de se détendre, ni de s’adonner à la danse », aimait-il à répéter. Le moment venu, il tombait alors la veste et en bras de chemise, il pouvait se trémousser sur la piste de danse tel un chorégraphe de Kinshasa. « Il dansait mieux que certains Congolais », révèle encore son ami Koffi. Le grand mécène ivoirien aimait les artistes. Ces derniers le lui rendaient bien. Son nom revenait régulièrement dans leurs chansons sous la forme de dédicace, un phénomène connu dans les deux Congos sous le nom de « libanga ». Certains musiciens ont écrit carrément une chanson à sa gloire, pour vanter sa générosité notoire ou ses qualités.
Les artistes congolais savent mieux que quiconque la valeur de ce qu’ils ont perdu. « Sans Hamed Bakayoko, qui ne jurait que par notre musique, Abidjan ne sera plus pareil pour nous », pleure Barbara Kanam. En octobre dernier, le donateur n’a pas hésité à faire parvenir à Kinshasa un cadeau à la mère de la chanteuse qui fêtait alors son anniversaire. « Il faisait beaucoup d’actions sociales dans la discrétion, venant surtout à la rescousse de ceux qui étaient dans le besoin », renchérit un patron congolais implanté à Abidjan. Fally Ipupa dit avoir perdu son « parrain culturel ». De son côté, une autre méga-star africaine, Gims, est inconsolable. Les deux artistes se sont produits fin 2020 au pays des Eléphants d’Afrique. En quittant la capitale économique, ils étaient loin de se douter qu’ils ne reverraient plus jamais ce bienfaiteur, fauché à 56 ans par la mort.
La rédaction