Mi-février, le logo de la nouvelle entité, Equity Banque commerciale du Congo S.A. (en sigle Equity BCDC), a été dévoilé. La semaine suivante, c’était au tour de son organigramme d’être rendu public. Pour piloter le nouvel ensemble, James Mwangi a préféré faire confiance au Congolais Célestin Mukeba. Pur produit de la méritocratie républicaine, ce dernier a fait toutes ses études supérieures en RDC. Il est passé par tous les postes au sein de l’ex-Procrédit. Il est donc nommé directeur général aux côtés de Nestor Ankiba qui préside, lui, le conseil d’administration. En provenance d’Eutelsat, Jean-Claude Tshipama devient DG adjoint, en charge notamment de la direction commerciale. Quant à Eric Ntumba, il va diriger les activités de la banque dans la partie sud du pays, incluant la région minière du Grand Katanga. Mais que deviendra l’ex-DG de la BCDC, Yves Cuypers ? Le Belge, qui était jusque-là président de l’Association congolaise des Banques (ACB), a déjà remis son mandat à la disposition de ladite structure qui devrait choisir en mars son successeur. En revanche, il reste muet sur son avenir. Va-t-il quitter la RDC ? Ou se verra-t-il proposer un nouveau poste à l’échelle sous-régionale par la maison-mère ? Seul l’avenir nous le dira.
En attendant, plusieurs questions se posent à propos de la nouvelle entité, qui se hisse effectivement dans le peloton de tête, devenant la deuxième plus grosse banque de la RDC derrière le groupe appartenant à la famille Rawji, Rawbank. La nouvelle, entité qui affiche un total de bilan de 2,5 milliards de dollars change de dimension. Elle accroit automatiquement sa capacité de financement de l’économie. Ce qui est une bonne chose pour le marché bancaire congolais. A en croire le nouveau DG, le nouvel ensemble peut désormais prêter jusqu’à 40 millions de dollars à ses clients. En s’adressant aux autres filiales et en cumulant les capacités du groupe kenyan, l’opération de prêt peut être porté jusqu’à 350 millions de dollars. Un niveau difficile à atteindre pour les autres établissements de la place. « Les miniers ont souvent recours aux banques extérieures pour des emprunts de plus de 50 millions de dollars car il est difficile à une banque locale de leur donner satisfaction », explique une consultante. En changeant d’échelle, Equity BCDC élargit sa gamme de prêts et accroît sa capacité d’intervenir sur le marché. Il faudrait toutefois attendre les chiffres de l’exercice 2020, qui vont être envoyés en mars à la BCC, pour se faire une idée précise de la force de frappe de la nouvelle entité Equity BCDC.
Il faut rappeler que la BCC a entrepris de faire croître la taille des banques congolaises. Il est en effet prévu que le capital monte de 30 à 50 millions de dollars en 2022. Cela leur permettra notamment de prêter davantage à leurs clients. Eu égard au respect des ratios prudentiels, les banques sont cependant tenues de ne prêter à un seul client qu’à hauteur d’une fraction donnée de leurs fonds propres. Plus ceux-ci sont élevés, plus leur capacité de financement est forte. Pour se conformer à cette instruction de la Banque centrale du Congo, certains établissements pourraient être tentés de se marier avec d’autres pour atteindre ladite taille critique. D’autres pourraient en revanche se désengager du marché national. « Un mouvement de consolidation du système bancaire congolais est inévitable dans les cinq prochaines années », prédit de son côté un patron, proche du dossier. « Avec des banques pesant plus lourd et à la solidité renforcée, la contribution à l’économie du système bancaire n’en sera que plus importante, les entreprises et les ménages devraient pouvoir en profiter », pense pour sa part le Pr Claude Sumata, spécialiste en macroéconomie monétaire et financière.
Pour cet enseignant-chercheur à l’Université pédagogique nationale (UPN) à Kinshasa, il se pose un autre problème : celui de la provenance des capitaux ainsi mobilisés. Il y a un manque de ressources propres en RDC. « C’est l’extraversion de l’économie qui continue sur le plan financier, affirme cet économiste formé à l’université Paris -Nanterre. Les Congolais sont délaissés par rapport aux financements disponibles. On doit leur donner la chance d’être également partie prenante. » Et de s’interroger : « Les Congolais seront-ils aussi bien servis que les autres pour obtenir des prêts ? » D’après lui, ces derniers buttent toujours sur un obstacle majeur inhérent aux hypothèques et aux garanties à apporter. Ils font également face à la cherté du coût du crédit, c’est-à-dire à des taux d’intérêt exorbitants. Il en appelle par conséquent à un accompagnement de l’Etat pour apporter par exemple des garanties supplémentaires afin de permettre à ses compatriotes d’accéder davantage aux prêts bancaires.
L’origine géographique des fonds investis en RDC importent peu, estime une patronne de la place. Pour elle, c’est plutôt une bonne chose pour la RDC d’avoir une banque internationale et bien assise qui s’implante sur son marché. Elle approuve par ailleurs l’approche d’Equity qui est la moins risquée. Les Kenyans ont d’abord commencé, il y a presque six ans, par acquérir l’ex-Procrédit dont la clientèle est essentiellement composée de particuliers ainsi que de petites et moyennes entreprises. Puis ils ont racheté un autre établissement avec lequel il peut y avoir beaucoup de synergies. Ce qui a été visé dans ce rapprochement, c’est bien le renforcement de l’aspect « corporate » [pour la clientèle de grandes entreprises] et le maillage géographique de la BCDC, une banque centenaire, pour bénéficier de son vaste réseau. La nouvelle enseigne affiche désormais une présence nationale de 74 agences, y déploie 3 055 agents bancaires, avec 214 distributeurs automatiques disponibles sur tout le territoire national. Elle dispose en tout de treize bureaux locaux dédiés. La concurrence sera cependant rude avec le premier établissement de la place, Rawbank, qui ne se laissera sûrement pas faire. En jeu : la place de leader du marché bancaire congolais.
Reste que certains observateurs s’interrogent sur la raison fondamentale qui a poussé EGH à venir en RDC. Le marché kenyan étant saturé, le groupe dirigé par James Mwangi a mis en œuvre une stratégie régionale, s’implantant notamment au Rwanda, en Tanzanie et en Ouganda. « A l’intérieur du Kenya, il y a une forme de compétition entre les banques. D’où une volonté d’expansion de ces établissements pour sortir de leur pays en allant plus loin », avance un ancien banquier à la retraite. « La stratégie suivie consiste à capter les parts de marché notamment à l’étranger», précise pour sa part un professeur d’économie basé en France mais d’origine africaine. Selon lui, la RDC est une cible naturelle pour les Kenyans qui se considèrent comme étant l’économie dominante dans la région orientale. Et le pays de Patrice Lumumba est en revanche perçu comme faisant partie de leur zone d’influence.
Cela tombe bien. Le taux de pénétration bancaire en RDC est compris entre 6 et 10%. Cette faible bancarisation combinée à la démographie du pays en fait un marché dont le potentiel est encore important. Ayant conçu un modèle bancaire basé sur l’innovation, les technologies de la téléphonie mobile et la digitalisation des opérations, EGH est certainement tenté de reproduire la même chose en RDC. Encore faut-il que ce pays puisse se hisser à un niveau de technologie téléphonique et de gestion rigoureuse comme le Kenya. Avec un bon support technique, on pourrait assister à une accélération de la bancarisation dans ce pays-continent d’Afrique centrale. Tel est certainement le pari fait par James Mwangi.
La Rédaction