Il y a vingt ans, celui qui était encore Monseigneur séjourne à Paris. Le prélat est descendu dans un grand hôtel situé près du palais de l’Élysée. Il a mal aux pieds et ne peut porter ses chaussures à cause d’une crise de goutte. Mais chez cet érudit parlant plusieurs langues, actuelles et anciennes, la souffrance a toujours été silencieuse. Rien ne transparaît donc. Il est prêt à répondre aux questions d’un jeune journaliste qui l’approche pour la première fois. Lui est déjà un des hommes les plus connus de ce qui était encore la République du Zaïre.Sa notoriété remonte à 1991 lorsqu’il prend la présidence de la Conférence nationale souveraine (CNS), censée permettre l’avènement de la démocratie.Mais surtout aux années passées au perchoir du Haut conseil de la République tenant lieu de Parlement de transition sous Mobutu (HCR-PT) de 1992 à 1996, dont il a dirigé les travaux avec maestria.
Le parti-Etat, Mouvement populaire de la Révolution (MPR),a disparu. Le maréchal-président Mobutu Sese Seko est alors au creux de la vague et aux abois. Le Timonier broie ostensiblement du noir. De son côté, l’homme de Dieu, docteur en Ecritures Saintes, ordonné évêque en 1980, jouit d’une cote de popularité qui atteint les sommets. C’est une « vedette » dont le visage et la voix sont devenus familiers à ses compatriotes, grâce notamment à la retransmission fréquente des travaux du Haut conseil de la République. Le public apprécie son calme olympien et le tient surtout en grande estime. Enfin un maître qui sait dompter les fauves de la politique.
Réputé neutre et installé au cœur du village, celui qui est devenu, en 2007, archevêque de la capitale, Kinshasa, est au centre des institutions de la République. « Ma vocation d’homme d’Église était de réconcilier les fils et les filles d’un même pays », disait-il volontiers pour expliquer son engagement. Il prend ainsi goût à la politique. Il devient un des personnages clés de l’Etat. Jamais le clergé n’a compté en son sein un élément aussi attiré par la politique et le pouvoir. Le président de l’époque, le maréchal Mobutu se méfie de cet homme particulièrement doué et politiquement habile, qui use d’une liberté de ton dans une dictature où tout écart de langage vous mène, pour le moins, en prison. Ses relations avec le principal opposant de l’époque, Etienne Tshisekedi, père de l’actuel chef de l’Etat, sont fraîches ou plutôt du genre « Je t’aime…moi non plus ». Certains pensent alors que le religieux aime le pouvoir et n’exclut pas de l’exercer un jour, d’une manière ou d’une autre.
Dans cet hôtel parisien, Monseigneur Laurent Monsengwo revient sur les années de braise quand le Palais du peuple où siégeait le Parlement de transition détricotait l’œuvre du maréchal Mobutu. Ce dernier a-t-il cherché alors à l’éliminer physiquement ? Ou était-ce plutôt une action des radicaux du camp présidentiel qui ont voulu faire taire cette voix critique en qui le peuple zaïrois se reconnaissait ? Au cours de l’interview, l’ancien évêque de Kisangani (1988), nommé cardinal en 2010,devenu influent jusqu’au Vatican révèle avoir été l’objet d’une tentative d’attentat contre sa personne, alors qu’il présidait le HCR-PT. Curieusement, ce sont les militaires commis à sa garde qui lui sauvent la vie en le cachant sous le lit tandis que les armes crépitaient dehors. En effet, des tirs ont éclaté à l’extérieur du bâtiment de l’Eglise qui lui servait de résidence. Le prélat est convaincu que le pouvoir de l’époque et les extrémistes du camp présidentiel ont cherché à en finir avec lui cette nuit-là. Le danger a été écarté. Mais le théologien bibliste sait maintenant qu’il dérange.
Bien des années plus tard, le défunt cardinal est demeuré égal à lui-même. Il n’a jamais eu sa langue dans la poche, mettant à chaque saillie le doigt là où ça fait mal. N’a-t-il pas traité les Kabilistes de médiocres ? Plus récemment, il a reproché à l’actuel président d’avoir « pactisé » avec son prédécesseur, au détriment des intérêts de la population. Regrettait-il cependant de ne pas avoir pu occuper le fauteuil présidentiel alors qu’on le présentait,dans les années 1990,comme un recours possible ? L’occasion a failli se présenter en 1997 lorsque le maréchal Mobutu, lâché par tous, et rongé par un cancer de la prostate, a songé à Mgr Monsengwo pour lui transmettre le pouvoir plutôt qu’à un chef rebelle nommé…Laurent-Désiré Kabila. Le temps et les soutiens occidentaux ont malheureusement fait défaut pour mener à bien ce projet. Malgré cette occasion manquée, le prélat est resté scotché à la politique. Ce qui agaçait parfois ses confrères du clergé. Ses homélies étaient attendues par les fidèles, mais le pouvoir les appréhendait. Il va manquer aux uns et aux autres. Décédé à l’âge de 81 ans, le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, reste une grande figure de l’Eglise congolaise, mais aussi un témoin et acteur de premier plan de l’histoire récente du Congo.
La Rédaction