Gabon : Brice Laccruche Alihanga, le crash !

Tout-puissant directeur de cabinet de la présidence depuis 2017, Brice Laccruche Alihanga a été pris, début décembre, dans les filets d’une vaste opération anticorruption, après l’arrestation de plusieurs de ses proches. Retour sur l’ascension fulgurante de celui qui se rêvait, un peu trop vite, calife à la place du calife.

Brice Laccruche Alihanga

« Comme un avion supersonique, il est monté vite, très vite. Mais quand on est à cette altitude, il faut faire très attention, une petite fausse manœuvre et…patatras, c’est le crash. Et sur la scène politique gabonaise, on descend aussi vite qu’on ne monte », analyse, stoïque, un connaisseur des mœurs politiques gabonaises, pour décrire la chute de l’ex-tout-puissant directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba (ABO), Brice Laccruche Alihanga (BLA). Il y a encore quelques semaines, ce Franco-Gabonais de 39 ans jouissait d’une influence sans contexte. Notamment lors de l’absence du chef de l’Etat, en convalescence au Maroc suite à un accident vasculaire cérébral (AVC) survenu en décembre 2018. Certains médias gabonais, n’ont pas hésité à le qualifier alors d’« homme le plus puissant de la République ».

Un parcours riche et varié

Nommé directeur de cabinet du président gabonais en août 2017, Brice Laccruche Alihanga a vu le jour en juillet 1980 à Marseille, d’une  Française, Elisabeth Dupont, et d’un métis gabonais, Louis-André Laccruche Alihanga, ingénieur originaire du Haut-Ogooué (sud-est), alors que certains lui contestent toute origine africaine. Son baccalauréat obtenu en 1998, BLA, comme on le surnomme, poursuit des études supérieures à l’Université Omar Bongo, puis à l’Institut des techniques avancées (ITA). Titulaire d’un master en finance, il commence sa vie professionnelle dans le pétrole (groupe Shell), puis senior manager au cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC). On le retrouve ensuite directeur central de la Banque gabonaise de développement, puis au groupe BGFIBank, dont il dirige la branche gabonaise avant d’être remercié, en 2013, pour malversations. Même s’il affirme qu’il s’agit d’« une affaire abracadabrante » dans laquelle il a été « très rapidement innocenté », l’homme commence cependant à susciter des sentiments contradictoires, entre admiration, agacement ou méfiance. Limogé de BGFIBank, celui qui déclare avoir pour modèles Napoléon, Nicolas Sarkozy, Barack Obama… rebondit comme conseiller financier au ministère de la Défense, puis à celui des Transports, et prend la tête de la Compagnie nationale de navigation intérieure et internationale (CNNII). Un poste qui lui ouvre une autre voie : la politique.

Au début 2015, il crée l’Association des jeunes émergents volontaires (Ajev), en prévision de la présidentielle de 2016. Alors que nombre de barons du Parti démocratique gabonais, au pouvoir, ont déserté le champ de bataille voire quitté le navire, BLA s’active sur le terrain à la tête d’un bataillon de jeunes déterminés à assurer une réélection facile au locataire du Palais du bord de mer. Ses efforts seront récompensés. En août 2017, sur les conseils de la première dame, Sylvia Bongo, il est nommé directeur de cabinet de la présidence.Installé dans le saint des saints, l’ancien banquier, qui a également siégé dans de nombreux conseils d’administration, est hyper actif comme à son habitude. « Professionnellement, il a toujours été très investi, c’est quelqu’un de très brillant, de très intelligent », confie un de ses amis à l’Agence France-Presse. Il ajoute : « Sa grande faiblesse, dans tout son parcours, c’est d’avoir toujours été quelqu’un de pressé, dans les affaires comme en politique. » De la Maison de verre, BLA a une vue d’ensemble sur la maison Gabon et ne cache pas ses ambitions. Au gré de nombreux remaniements, il place ses hommes à des postes clés au gouvernement, dans la haute administration, les sociétés publiques ou parapubliques,  et même à la tête des services de sécurité. Evinçant nombre de caciques du régime.

Calife à la place du calife

Son appétit du pouvoir ne se dément pas et prend une nouvelle dimension à l’été 2019. Alors que le chef de l’Etat est toujours en convalescence à l’étranger, l’ancien président de l’Ajev se lance dans une retentissante « tournée républicaine », avec un décorum digne d’une campagne électorale, à travers tout le pays pour, dit-il, « apporter le message intime » du président Bongo. « Celui qui déconne, il sera sèchement écarté. Et à ceux qui ne sont pas contents, on leur dira : celui qui boude, il bouge », lance-t-il alors à des ministres assis en bas de la tribune lors d’un meeting. Et fait monter d’un cran l’exaspération et la méfiance qu’il suscite. Jusqu’au sommet de l’Etat. Le 7 novembre, Ali Bongo, qui a repris les rênes du pouvoir, procède à un remaniement du gouvernement. BLA, que ses compatriotes se plaisent toujours à appeler le « white », est  limogé de son poste de directeur de cabinet de la présidence,et hérite d’un énigmatique ministère « chargé du Suivi de la Stratégie des investissements humains et des Objectifs de développement durable » où il ne détient aucun pouvoir.Dans un énième remaniement gouvernemental opéré le 2 décembre, Brice Laccruche Alihanga n’est plus sur la photo. Le lendemain, il est interpellé et placé en détention préventive.

Lise Hartmann

Le président gabonais, Ali Bongo Ondimba, a procédé par étapes pour évincer son ex-bras droit, BLA.
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