Pour parvenir à ce consensus le gouvernement a tenu compte de divers paramètres et étudié dans les détails les revendications des rois du surgelé. Dans le compte-rendu du conseil des ministres tenu fin juin dernier, le gouvernement note que sur la base des éléments recueillis, ainsi que des déclarations faites par les opérateurs économiques et quelques informations obtenues sur le lieu d’approvisionnement en Namibie, les experts du ministère de l’Economie ont répertorié « au moins 36 éléments irréguliers non incorporables dans les structures des prix qui les surchargent sensiblement et amenuisent le pouvoir d’achat de la population ». Selon le ministre, les calculs faits par ses services, élaguant toutes les incohérences, n’ont fait l’objet d’aucune contestation de la part des opérateurs économiques du secteur. « Considérant l’acceptation de ses propositions par la partie gouvernementale, toutes les taxes comprises (TTC) pour un compromis d’équilibre et transitoire avant la révision de l’arrêté ministériel n.034/CAB/MINET/ECONAT/JKN/d’octobre 2018 portant mesures d’exécution de la loi organique n°18/020 du 09 juillet 2018 relative à la liberté des prix et à la concurrence, spécialement en matière des prix », révèle le procès-verbal signé le 12 août par les deux parties. Un accord dont on se réjouit du côté des opérateurs économiques qui estiment avoir mis de l’eau dans leur vin pour parvenir à un aboutissement heureux des discussions dans le souci de préserver le pouvoir d’achat de la population. « La population doit retenir que nous avons trouvé un consensus après deux mois de discussions. Tout s’est bien passé. Nous faisons un effort pour approcher le pouvoir d’achat de la population. Cela n’a pas été facile, raison pour laquelle vous avez vu des réunions qui se sont succédé, mais aujourd’hui nous avons fini par trouver un consensus avec le gouvernement », a déclaré Donatien Tshimueneka, du groupe Socimex (Société commerciale d’import et export), intervenant dans divers domaines économiques, notamment dans l’agroalimentaire.
Une baisse autour de 30%
Au regard de tous les éléments dont dispose le ministre de l’Economie, il s’avère qu’un carton de cuisses de poulet de 10 kg acheté à 10 dollars américains (USD) est vendu à 21 USD ; le poulet entier acheté autour de 10 USD par carton de 10 kg se vend jusqu’à 28 USD ;le carton de 10 kg côtes de porc acquis autour de 15 USD se négocie à 22,70 USD à Kinshasa et un peu plus dans d’autres coins du pays. Quant au carton de 30 kg de chinchards 16+ (également appelés poisson Thomson) acheté autour de 17 USD, il coûte 42,90 USD.
Si l’on se réfère au procès-verbal signé à l’issue des négociations entre gouvernement et importateurs, un carton de cuisses de poulet de 10 kg coûtera désormais 15,9 USD ; le carton de poulet entier (10 kg) 15,5 USD et les côtes de porcs (10 kg) 16,8 USD. Quant aux chinchards, les parties ont convenu que le consommateur débourse 1,44 USD pour un kilo.
Afin de rendre effective l’applicabilité du « juste prix », le gouvernement a pris certains préalables. Dans cette optique, il a été décidé notamment la levée des barrières routières irrégulières qui surchargent les prix des produits surgelés ; la rationalisation des prélèvements parafiscaux dans la structure des prix des produits de grande consommation ; la redynamisation du Comité de suivi des prix des produits de première nécessité pour un suivi de proximité ; l’application scrupuleuse de la règlementation sur les services habilités à exercer aux frontières conformément à la loi.
La loi, dernier rempart
En son article 4, la loi n° 18/020 du 09 juillet 2018 relative à la liberté des prix et à la concurrence dispose que « la liberté de prix donne le droit à toute personne exerçant une activité économique ou commerciale de fixer le prix de son bien ou service dans les conditions prévues par la présente loi. La liberté de concurrence implique le droit pour toute personne d’exercer une activité économique ou commerciale de son choix aux conditions qu’elle juge compétitives, qu’elle fixe librement sous réserve des restrictions légales. Son exercice ne doit porter atteinte ni à la protection de la propriété industrielle et intellectuelle, ni aux droits légitimes des tiers ».
Au regard de cette disposition, le gouvernement se voit donc dans l’obligation de rappeler aux importateurs qu’ils ne peuvent avoir la liberté de fixer leur marge de manœuvre à n’importe quelle hauteur. Ainsi, pour un carton de cuisses de poulets de 10 kg acheté à 10 dollars américains, le bénéfice ne peut excéder 30% du coût de revient. Ceci vaut pour tout autre article.
Ce qui revient à dire que le ministre de l’Economie, en tant que représentant de l’Etat, dispose du pouvoir de faire appliquer la loi à toute personne, importateur soit-il, qui enfreint cette disposition. Les importateurs de produits surgelés membres de la FEC sont appelés à respecter les signatures qu’ils ont apposées à travers leurs délégués sur le procès-verbal qui a sanctionné les négociations ayant abouti à la baisse de prix des produits surgelés.
Organiser la production locale
Des longues discussions entre le gouvernement et la FEC à propos de la baisse des prix des produits surgelés relancent, une fois de plus, la problématique de la production locale. La République démocratique du Congo est le pays le plus riche en eau d’Afrique. Il représente environ 52 % des réserves d’eau de surface de l’Afrique et 23 % des ressources en eau renouvelables intérieures du continent africain. Les ressources en eaux de surface de la RDC sont dominées par le fleuve Congo et ses affluents. Malgré ces impressionnantes statistiques, la RDC ne produit pas suffisamment de nourriture pour ses populations. Elle obligée d’engager des dépenses colossales pour l’importation d’aliments. Environ 1,5 milliard de dollars américains sont déboursés chaque année pour l’importation de denrées alimentaires.
Selon les statistiques de l’Institut national de la statistique (INS), la RDC n’exploite que 10% de son potentiel de terres arables, soit 8 millions d’hectares. Les experts s’accordent sur le fait que même les 10% dont il est question ne sont pas exploités au maximum.
Afin de palier les problèmes liés à l’importation de denrées alimentaires et principalement des produits surgelés, le président Félix Tshisekedi veut changer le paradigme. Dans cette vision, il n’a cessé d’échanger, personnellement, avec des associations de pêcheurs de Kinshasa afin d’étudier les possibilités de mieux exploiter les ressources halieutiques de la RDC et inonder le marché congolais de poissons pêchés dans les eaux territoriales. A ce jour, les pêcheurs de Kinshasa s’organisent déjà en coopératives et attendent un financement du gouvernement pour se mettre à l’œuvre et produire suffisamment de poissons qui pourront satisfaire, un tant soit peu, les besoins des consommateurs locaux.
Olivier Kaforo