Plus de deux semaines après avoir pris le pouvoir, renversant, le 26 juillet dernier, le président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum, la junte militaire, regroupée au sein du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, résiste aux injonctions de la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest, qui a pris une batterie de sanctions, économiques notamment, contre les nouvelles autorités et menace d’intervenir militairement pour rétablir l’ordre constitutionnel. En attendant une éventuelle sortie de crise, ce putsch aura mis à nu la profonde fracture au sein des populations nigériennes, écartelées entre soutiens et opposants à la junte, qui veut instaurer une énième transition au Niger. Décryptage.
Selon Moussa Tchangari, altermondialiste nigérien et secrétaire général d’Alternatives Espaces Citoyens (AEC), ce coup d’Etat militaire au Niger est « un recul pour l’armée elle-même ». « Le pays se trouve dans une situation politique très singulière, pour ne pas dire inédite, avec un président de la République pris en otage dans sa résidence par des éléments chargés d’assurer sa sécurité. La garde présidentielle, qui est au cœur de cette action de remise en cause de l’ordre républicain, a reçu le soutien d’autres éléments de l’armée et de la garde nationale », explique-t-il. « Ainsi donc, depuis le 26 juillet, l’unité la mieux équipée du pays, celle qui reçoit les meilleurs traitements de la part de l’État, est devenue, de fait, la locomotive des forces de défense et de sécurité », ajoute-t-il. Pour Moussa Tchangari, « c’est déjà là un fait très grave qui doit heurter toute conscience républicaine au Niger où, par le passé déjà, cette unité avait tenu le même rôle après avoir assassiné le Président dont elle devait assurer la sécurité ». Rappelant le coup de force mené, en avril 1999, par des éléments de la garde présidentielle, qui a coûté la vie au chef de l’Etat d’alors Ibrahim Baré Maïnassara. Dès lors, le camp de cette unité était devenu le centre du pouvoir. « A l’époque, comme aujourd’hui, l’action de la garde présidentielle a été un révélateur éloquent de la faillite de quelque chose d’essentiel au sein des forces armées, à savoir les principes de base même sur lesquels elles sont censées fonctionner », explique Moussa Tchangari. Selon lui, « ces principes, ce sont aussi la subordination des militaires à l’autorité civile, l’allégeance à l’État et l’engagement à la neutralité politique ».
Pour le militant associatif,« dans tous les pays du monde, les armées fonctionnent sur la base de ces principes fondamentaux, dont l’observance stricte constitue la garantie de leur force et de leur efficacité, car il est établi qu’une armée au sein de laquelle ces principes ne sont pas observés, dérive en bandes autonomes, et parfois même rivales, qui ne peuvent, en aucun cas, accomplir efficacement la mission première d’une armée républicaine. Les coups d’Etat militaires de ces dernières années, au Niger et ailleurs dans la région, montrent bien que ce n’est pas seulement l’ordre républicain qui est remis en cause, c’est aussi l’ordre militaire lui-même qui est battu en brèche, car aucun de ces coups d’Etat n’a été l’œuvre de la hiérarchie militaire, qui s’est souvent crue en devoir, comme c’est le cas présent au Niger, de soutenir une telle initiative, même lorsque tout laisse croire qu’elle a été prise par le chef d’une seule unité ».
« En Afrique, les changements politiques suscitent toujours des passions et des postures euphorisantes. »
Concernant le relatif soutien populaire dont semble bénéficier les putschistes, particulièrement dans la capitale, Niamey, fief de l’opposition politique, le sociopolitologue Dr SouleyAdji est formel : « A voir l’euphorie actuelle autour de la junte, l’on pourrait être tenté de croire que les Nigériens ont divorcé définitivement d’avec le modèle démocratique et qu’ils préféreraient au contraire confier leur sort, leurs vies et leur avenir aux hiérarques militaires. Rien n’est plus faux ! En Afrique, on le sait, les changements politiques suscitent toujours des passions et des postures euphorisantes, soutenues, certes, par des mobiles économiques, mais aussi par des considérations d’ordre ethnique, ethno-régionaliste, religieux, voire personnels notamment. »
Selon lui, « toute euphorie, comme toute passion, cette ferveur est passagère, volatile, évanescente. Non, les Nigériens n’ont pas perdu le Nord, ne sont pas aveuglés par le discours de circonstance de la junte, la énième depuis l’amorce du processus de démocratisation. C’est dire que l’enthousiasme passé, ils auront les deux pieds sur terre et réaliseront que leurs ascendants, les aînés et les cadets ont consenti d’énormes sacrifices pour mettre un terme au régime personnel, au régime militaire ou de parti unique ». Il a ainsi rappelé une enquête menée par Afrobarometer (Afrobaromètre, en français) à l’occasion des 30 ans du processus de démocratisation, qui a montré de fortes tendances allant dans le sens d’un refus de la restauration autoritaire. Ainsi, selon Afrobarometer, même s’ils affirment que le niveau de la démocratie nigérienne ne soit pas satisfaisant, les Nigériens, dans leur majorité (64%),vaffirment que la démocratie est préférable à toute autre forme de gouvernement, 84% des citoyens rejettent la dictature, 84% autres le parti unique et 62% le gouvernement militaire. Pour SouleyAdji, même si « plus de la moitié des Nigériens ne sont pas satisfaits du fonctionnement de la démocratie, pour autant, ils ne jettent pas le bébé avec l’eau du bain. Nonobstant les limites de la gouvernance, pas toujours orthodoxe, le cadre démocratique leur paraît donc le plus approprié pour prendre en charge leurs vies, leurs aspirations et leur avenir ».
Des avis que ne partage pas Sama Abdoul-Aziz, ancien président de l’ONG Plateforme Jeunesse Développement, pour qui« ce coup d’Etat, est un mal nécessaire ». « Pendant plus de douze ans, le parti principal au pouvoir s’est spécialisé dans le détournement de fonds publics, la gabegie financière, le népotisme à outrance et le mépris vis-à-vis de la population et surtout les détournements des fonds destinés à la Défense nationale », s’insurge-t-il. « C’est pourquoi, dit-il, ce coup d’Etat, indépendamment de toutes les conséquences sociales et économiques, les populations du Niger ont expressément manifesté leur soutien au général Tchiani(le chef de la junte, Ndlr) et le CNSP ». Pourquoi une partie de la population se range-t-elle derrière les auteurs du putsch ? Sama Abdoul-Aziz a sa réponse, nette et sans appel : « L’une des raisons principales des populations est l’installation illégale des bases militaires françaises. Beaucoup pensent que le terrorisme au Sahel est lié à la présence militaire Française ».
Concernant les sanctions de la Cédéao, les avis sont également partagés avec d’un côté les partisans des putschistes, qui condamnent lesdites sanctions, et de l’autre les défenseurs de la démocratie, qui estiment que ces sanctions sont nécessaires pour faire plier des militaires qui pensent imposer leur agenda à la force de la baïonnette. Selon Sama Abdel-Aziz, ces sanctions ne sont pas sans conséquences et renforcent davantage les soutiens aux autorités militaires.
Alors que des négociations, tous azimuts, se poursuivent pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel, par la force s’il le faut, conformément aux décisions prises par les dirigeants de la Cédéao lors du sommet de l’institution le 30 juillet, la société nigérienne reste divisée entre, d’une part les partisans de l’ancien régime et les défenseurs de la démocratie, et de l’autre les opposants, qui accueillent favorablement les militaires qui ont, selon eux, mis fin à 13 ans de pouvoir du PNDS Tarayya.
Garé Amadou