Burkina Faso : le lieutenant-colonel Damiba au pas de charge

Le chef de l'Etat burkinabè, le lieutenant-colonel Damiba.

Conférence nationale, adoption d’une charte de la transition, nomination d’un chef de gouvernement, assemblée parlementaire intérimaire, audit de l’administration publique…Moins de deux moins après le coup d’Etat du 24 janvier dernier qui l’a porté au pouvoir, le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba a fixé, début mars, le cap de la transition et sa feuille de route au pas de charge. Portrait d’un homme pressé.

C’est dans une petite salle du Conseil constitutionnel, devant une poignée d’invités triés sur le volet, composés essentiellement des représentants des autorités militaires, du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) qui a renversé le président Roch Marc Christian Kaboré, le 24janvier dernier, des chefs coutumiers et religieux entre autres, que le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a prêté serment le 16 février dernier. En toute sobriété. « Je jure devant le peuple burkinabè et sur mon honneur de respecter et de faire respecter et de défendre la Constitution, l’acte fondamental et les lois, et de tout mettre en œuvre pour garantir la justice à tous les Burkinabè », a déclaré l’homme de 41 ans, vêtu d’un treillis militaire « Terre du Burkina », la tenue officielle des forces armées burkinabè, ceint d’une écharpe aux couleurs du Burkina, la tête coiffée d’un béret rouge et rangers bien attachés aux pieds.

Dans son discours d’investiture, le chef de la junte qui a fait tomber le désormais ex-chef de l’Etat Kaboré, accusé notamment de ne pas avoir mis fin à la violence jihadiste qui frappe le Burkina Faso depuis près de sept ans, a promis de lutter contre l’insécurité, pour la « sauvegarde et la restauration de la nation ». « Pour véritablement et définitivement prendre le dessus sur l’ennemi, il faudra (…) se révolter et se convaincre qu’en tant que nation, nous avons plus que ce qu’il faut pour gagner cette guerre », a-t-il affirmé, assurant que « nous pouvons y arriver et nous allons y arriver » pour redonner aux Burkinabè « des raisons d’espérer et aux déplacés, en particulier, le droit de rêver ». « Sa formation et son parcours militaires l’autorisent à une telle ambition », confirme un analyste.

Un homme réfléchi, un commandant rigoureux

Officier supérieur d’infanterie des Forces armées burkinabè, diplômé de la prestigieuse Ecole militaire de Paris, détenteur d’un master 2 en sciences criminelles, du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) de Paris, et d’une certification d’expert de la défense en management, commandement et stratégie, Paul-Henri Damiba est, selon son entourage, un homme réfléchi, sobre et placide aux états de service brillants. « Il fait partie des élites mais a obtenu des résultats sur le terrain, il a dirigé et commandé un certain nombre d’unités », relève le spécialiste burkinabè des relations internationales Oumarou Paul Koalaga. « C’est l’exemple d’un bon militaire, un bon commandant rigoureux qui est monté aux fronts avec ses hommes », ajoute une source militaire. Membre, depuis 2003, du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), la garde prétorienne de l’ancien président Blaise Compaoré, renversé en 2014, l’ex-élève du Prytanée militaire du Kadiogo (PMK) et de l’Académie militaire Georges Namoano (AMGN) de Pô, quitte ce régiment après les mutineries de 2011. Il est alors successivement nommé commandant du 11èmeRégiment d’infanterie commando (RIC) à Dori, puis du 12èmeRIC à Ouahigouya, dans la région septentrionale du pays, sanctuaire des groupes armés jihadistes. Et contre lesquels Paul-Henri Damiba mène un combat sans merci. Ce qui lui vaut d’être reconnu comme un spécialiste de la lutte contre les jihadistes. 

Après les événements de 2015 — tentative de coup d’Etat contre les autorités de transition fomentée par le général Gilbert Diendéré, patron du RSP, à laquelle il s’est opposé —, celui que ses compagnons d’armes surnomment « l’armée », à cause de sa rigueur militaire, part effectuer des stages de perfectionnement à l’étranger. A son retour au pays, il est nommé chef de corps du 30ème Régiment de commandement d’appui et de soutien (RCAS). Avant d’être hissé, en décembre dernier, à la tête de la 3ème Région militaire qui couvre Ouagadougou, Koudougou, Fada N’Gourma et Manga, après l’attaque menée mi-novembre par des combattants jihadistes contre le camp de gendarmerie d’Inata (nord du pays), faisant des dizaines de morts dont 53 gendarmes. Un drame qui a créé une onde de choc dans les casernes et dans les rues et contraint le président Kaboré à opérer un vaste changement au sein des forces armées.

Stratège de la lutte contre les jihadistes

Soldat de terrain, stratège de la lutte contre les jihadistes, le lieutenant-colonel Damiba – « Ces officiers avec des choses dans la tête », selon le politologue Oumarou Paul Koalaga – a publié, en juin 2021, un essai intitulé Armées ouest-africaines et terrorisme : réponses incertaines ? Un ouvrage de 160 pages dans lequel il déplore des armées locales trop faibles face aux jihadistes, aux « tares rédhibitoires », et des partenaires occidentaux « nécessaires » mais « cachottiers ». Un constat implacable que le nouveau numéro un du pays des Hommes intègres entend corriger. Vaste chantierqu’il a déjà engagé avec la création, le 4 février, du Commandement des opérations du théâtre national (COTN) chargé de « concevoir, organiser et soutenir les opérations de sécurisation du territoire national ». Quelques jours plus tard, le 14 février, il se rend dans plusieurs localités du nord du pays à la rencontre des militaires qui se battent au quotidien sur le terrain contre les groupes jihadistes. « Cet activisme tranche en tous cas avec son prédécesseur Roch Marc Christian Kaboré, dont la population critiquait l’inefficacité face au terrorisme et qui se déplaçait très rarement dans le pays », souligne un observateur.

Le nouveau dirigeant burkinabè est un homme pressé. Investi (une deuxième fois !) président du Faso le 2 mars pour une transition de trois ans, il a désigné deux jours plus tard son Premier ministre, Albert Ouedraogo, avec la formation d’un gouvernement dans les plus brefs délais, et l’installation de l’Assemblée législative de transition dans les deux prochaines semaines. Le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba, à l’opposé de ses frères d’armes putschistes du Mali et de la Guinée, veut aller vite et rassurer la communauté internationale. Pour pouvoir se consacrer totalement à son objectif premier : la lutte contre le terrorisme et la sécurisation du territoire national.

Jean-René Idrissa