La Belgique rend la dépouille de Patrice Lumumba à sa famille et à la RDC

Le Premier ministre Belge, Alexander de Croo, et son homologue congolais, Jean-Michel Sama Lukonde devant la dépouille de Patrice-Emery Lumumba, à Bruxelles.

La Belgique a rendu lundi 20 juin à la famille biologique et à la République démocratique du Congo la dépouille de l’ancien Premier ministre Patrice Emery Lumumba, assassiné le 17 janvier 1961 dans l’actuelle province du Haut-Katanga, au cours d’une double cérémonie qui a eu lieu au Palais d’Egmont à Bruxelles.

Lors d’une cérémonie privée, le procureur général belge Frédéric Van Leeuw a remis aux trois enfants de Patrice Lumumba – François, Roland et Juliana –  un coffret contenant une dent du Héros national congolais. La seconde cérémonie s’est déroulée en présence des Premiers ministres congolais Jean-Michel Sama Lukonde et belge Alexander De Croo.

Une cérémonie de la plus haute importance

Prenant la parole, le Chef du gouvernement belge a évoqué, dans son discours, « une cérémonie de haute  importance pour la famille Lumumba, pour le Congo, pour les relations entre le Congo et la Belgique et pour les deux peuples ».

M. De Croo a trouvé « anormal » que la dépouille de Patrice Lumumba ait été conservée en Belgique pendant 61 ans « dans des circonstances obscures ».

« Enfin, une cérémonie de la plus haute importance pour les relations entre nos deux pays, la République démocratique du Congo et le Royaume de Belgique, et entre nos deux peuples. Deux pays et deux populations qui peuvent, finalement, tourner une page de leur Histoire et entamer un nouveau chapitre. »

« Enfin, ce mot est sur toutes les lèvres ce matin. Et par enfin nous entendons « trop tard». En réalité, beaucoup trop tard. Car, non, il n’est pas normal que la dépouille de l’un des Pères fondateurs de la nation congolaise ait été conservée six décennies durant par les Belges. Il n’est pas normal que la dépouille de l’un des Pères fondateurs de la nation congolaise ait été conservée durant six décennies dans des circonstances obscures, jamais vraiment élucidées, mais qui à la lumière de ce qui est connu ne font pas notre fierté », a souligné le chef du gouvernement belge.

M. De Croo a rappelé que la dépouille de Patrice Emery Lumumba n’est entrée en possession des autorités judiciaires belges qu’en 2016. « Et il a fallu attendre longtemps avant que cette dépouille ne soit remise à qui de droit : c’est à dire sa famille et son peuple. Pour enfin entamer un ultime voyage vers sa juste destination, Kinshasa, fière capitale de la République démocratique du Congo », a-t-il précisé. 

Une vérité douloureuse et désagréable

Il a aussi rappelé que la commission d’enquête parlementaire, mise sur pied en 2000, avait conclu que « le gouvernement belge faisait manifestement peu de cas de l’intégrité physique de Patrice Lumumba et qu’après son assassinat, ce même gouvernement a délibérément répandu des mensonges sur les circonstances de son décès. Plusieurs ministres du gouvernement belge de l’époque portent, en conséquence, une responsabilité morale quant aux circonstances qui ont conduit à ce meurtre. C’est une vérité douloureuse et désagréable. Mais elle doit être dite ».

Avec la restitution de la relique du premier Premier ministre congolais, les deux pays peuvent « enfin tourner une page de l’histoire commune et commencer un nouveau chapitre », a indiqué le chef du gouvernement belge.

Il a présente à son tour ses excuses au nom du gouvernement belge, pour la manière dont celui-ci a pesé sur la décision de mettre fin aux jours du Premier ministre du Congo. Selon M. De Croo, les Belges « auraient dû refuser d’aider à transférer » Lumumba et ses compagnons.

Le Premier ministre belge a aussi rendu un « un hommage appuyé » aux deux compagnons d’infortune de Patrice Emery Lumumba, Maurice Mpolo et Joseph Okito, assassinés le même jour et dans les mêmes circonstances. Il a enfin appelé les Congolais et les Belges à « regarder notre passé droit dans les yeux, avec un objectif : c’est de tourner la page et d’entamer un futur ensemble ».

Contribution des Congolais à l’essor de la Belgique

Par ailleurs, évoquant la colonisation belge au Congo, M. De Croo a noté que la période coloniale, comme toute époque de l’Histoire, est soumise à interprétation et réinterprétation. « Néanmoins, a-t-il déclaré, déjà à l’époque de l’État indépendant du Congo (EIC, 1885-1908), de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer les abus et les violences. Ces voix ne se sont plus jamais tues », a-t-il souligné.

Alexander De Croo a également reconnu que la communauté d’origine africaine en Belgique apporte « une richesse inégalable » à la Belgique. « Cet apport est parfois bien connu grâce à des secteurs très visibles, comme le sport et la culture, mais notre reconnaissance va également à toutes les Congolaises et Congolais, Africaines et Africains, devenus Belges ou non, qui apportent au quotidien leur pierre à l’édifice dans tellement d’autres domaines, souvent sans bénéficier d’une quelconque visibilité, comme tout autre citoyen dans notre pays. Nous pensons aussi que les Belges actifs en RDC ont cette même approche ».

Selon lui, ces Belges, ces Congolais et ces Congolaises « contribuent toutes et tous à ce lien indéfinissable et si étroit entre nos deux pays. Un lien qui va au-delà de l’amitié, et qui s’inscrit dans une approche à long terme, tournée vers l’avenir. Je me réjouis de cette nouvelle dynamique qui nous permet de nous regarder avec un respect et une franchise renouvelés, au bénéfice commun de nos populations ».

Tisser de nouveaux liens entre les deux peuples

Prenant la parole à son tour, le Premier ministre Sama Lukonde a souligné sa « forte émotion » de prendre la parole au Palais d’Egmont, « ce lieu chargé de souvenirs ». Il a déclaré être venu, au nom Président de la République et du peuple congolais récupérer la dépouille de Patrice Lumumba pour un deuil national.

Avec la restitution de cette dépouille, la RDC retrouve un maillon manquant dans son histoire, a relevé le Premier ministre qui a souligné, en allusion à la situation actuelle dans l’Est de la RDC, que Patrice Lumumba a été, en 1959, le premier acteur politique congolais à s’être prononcé contre la balkanisation du Congo.

Il a souligné le devoir de « préserver l’intégrité du territoire congolais face aux appétits extérieurs, rappelant que le pays subit actuellement une « nouvelle agression » dans sa partie orientale. Le chef du gouvernement congolais a appelé à une nouvelle entre la RDC et la Belgique. « Il faut tisser de nouveaux liens entre les deux peuples, entre le Congo au cœur de l’Afrique et la Belgique au cœur de l’Europe », a-t-il indiqué.Le Premier ministre Sama Lukonde a évoqué la restitution prochaine par la Belgique à la RDC de nombreuses œuvres d’art. Selon lui, la restitue symbolique du masque Suku, lors du récent séjour à Kinshasa du Roi Philippe  « marque incontestablement notre  volonté commune de nous réconcilier avec notre histoire et de scruter dans la sérénité et sans complexe l’avenir de nos rapports ».

L’émotion manifeste de Juliana Lumumba

Pour sa part, Juliana Lumumba, au nom des enfants et des petits enfants, a regretté que 61 ans durant, la famille, mais aussi le Congo, l’Afrique et le monde, ont « continué à se poser des questions autour des circonstances de la mort » de cet illustre personnage, alors que la famille, elle, n’avait jamais prononcé d’oraison funèbre. « Père, comment es-tu mort, on ne sait pas. Quand es-tu mort, on ne sait pas, où as-tu été assassiné, on ne sait pas non plus. Qui t’ont assassiné, on cherche encore », a-t-elle questionné avant de souligner que « tout ce que nous savons, c’est que tes bourreaux t’ont condamné à être âme en perpétuelle errance, un héros avec une « dépouille sépulturale » sous séquestre de la justice ».

Elle a par ailleurs révélé qu’il y a deux ans, la famille a écrit au roi Philippe que « notre devoir d’enfant était de rendre hommage à notre père en lui offrant une sépulture digne ». Elle ajoute : « La réponse du roi, c’est la cérémonie solennelle de ce jour.» Aussi a-t-elle adressé, au nom de la grande famille du Congo, ses remerciements au roi des Belges, qui a montré un intérêt remarquable, ainsi qu’au gouvernement belge et à son Premier ministre pour leur délicate attention qui, à son avis, a adouci la douleur et l’amertume de la famille.

Elle a particulièrement adressé un message de gratitude au Président de la République Félix Antoine Tshisekedi, pour sa « continuelle main tendue » et ses fraternels messages qui, reconnaît-elle, ont été d’un grand réconfort pour la famille, sans oublier toute la sollicitude reçue du gouvernement congolais tout au long de la procédure ayant conduit à la cérémonie de ce jour et, plus encore, jusqu’à la fin des festivités.

A l’issue de la cérémonie officielle, le cercueil en bois, emmené spécialement du Congo,a été porté du Salon des Dames vers la cour d’honneur pour les hymnes nationaux de la RDC et de la Belgique, devant les Premiers ministres des deux pays, Alexander De Croo et Jean-Michel Sama Lukonde, l’ensemble des membres de la famille Lumumba présents ainsi qu’une foule nombreuse des Congolais, massés sur les lieux depuis les premières heures du matin.

Le cortège du Premier ministre congolais, précédé du corbillard, s’est par la suite ébranlé du Palais d’Egmont en direction de l’ambassade congolaise pour enfin commencer le deuil, avant l’embarquement de la dépouille mardi pour la République démocratique du Congo où se poursuivront les cérémonies, le 22 juin à Lumumbaville Onolua, lieu de naissance de Patrice-Emery Lumumba, le 24 juin à Kisangani, son fief politique, le 25 juin au Site de Shilatembo, à 15 km de l’aéroport de Lubumbashi, où il avait été assassiné le 17 janvier 1961, et enfin à Kinshasa, où sera déclaré un deuil national avant la mise en terre de la dépouille, le 29 juin au « Mémorial Patrice-Emery Lumumba », à l’échangeur de Limete.   

A propos de la relique de Patrice Lumumba

C’est le 24 mai 2022, que le Premier ministre belge, Alexandre De Croo, a annoncé, dans un communiqué, que la justice de son pays restituerait, le 20 juin, à la famille de Patrice Emery Lumumba, lors d’une cérémonie officielle à Bruxelles, une « relique » du premier chef du gouvernement congolais, assassiné le 17 janvier 1961.

La restitution de cette relique, réclamée par la famille Lumumba, était acquise depuis 2020. Mais la cérémonie a été reportée, notamment en raison de la pandémie du Coronavirus

 Cette restitution est « un nouveau moment charnière dans l’histoire des relations diplomatiques entre la Belgique et la RDC, après la visite du Roi Philippe en RDC », a ajouté le communiqué.

La relique est une dent de Patrice Lumumba, saisie en 2016 par la justice belge chez la fille de Gérard Soete, un policier belge qui avait été chargé de faire disparaître dans l’acide sulfurique, après l’exécution, les corps découpés de Patrice Lumumba et de ses deux compagnons, Maurice Mpolo et Joseph Okito, respectivement ministre de la Jeunesse et des sports et 2ème vice-président du Sénat. Le policier devenu commissaire de police, avait déclaré en 2000, avoir prélevé deux dents mais n’avoir conservé qu’une.

Qui était Patrice Lumumba ?

Né le 2 juillet 1925 à Onalua, dans l’actuelle province du Sankuru, Patrice Emery Lumumba devient, le 30 juin 1960, le premier Premier ministre du Congo indépendant. Il est révoqué de ses fonctions le 4 septembre 1960, par le Président Joseph Kasa-Vuèbu, l’une des principales figures de l’indépendance du Congo belge, et remplacé par Joseph Ileo.

Cependant, à la faveur d’un coup de force de l’armée, le lendemain, le colonel Joseph-Désiré Mobutu prend le pouvoir. Soutenu par le Chef de l’Etat et les Nations unies, il met en place le Collège des commissaires généraux faisant fonction de gouvernement.

Assigné à résidence, le 10 octobre, il parvient à quitter sa résidence avec sa famille le 27 novembre, pour tenter de gagner son fief de Stanleyville (Kisangani). Rattrapé quelques jours plus tard, à Lodi, dans le Sankuru,  il est ensuite ramené à Léopoldville, d’où il est transféré au camp militaire de Thysville (Mbanza-Ngungu).

Le 17 janvier 1961, Patrice Lumumba et deux de ses partisans, Maurice Mpolo et Joseph Okito, respectivement ministre de la Jeunesse et des sports et 2ème vice-président du Sénat, sont acheminés à Élisabethville (Lubumbashi), au Katanga, où ils sont assassinés le même jour.

Roger Mazanza Kindulu