Quelque dix-huit millions d’électeurs ghanéens se rendront aux urnes le 7 décembre pour se choisir un nouveau chef de l’Etat dans une présidentielle que l’on annonce serrée entre les deux grandes formations politiques du pays.
Souvent considéré comme un modèle de stabilité politique dans une région secouée par les coups d’Etat et l’insécurité, le Ghana s’apprête à procéder à ses neuvièmes élections générales depuis le retour du multipartisme au début des années 1990. Avec une constante : le bon déroulement des scrutins et le transfert pacifique de pouvoirs entre administrations. Dans l’ancienne Gold Coast, l’alternance politique n’est pas un vain mot. Depuis 1992, les deux principaux partis, le Nouveau Parti démocratique (NPP, au pouvoir) et le Congrès national démocratique (National Democratic Congress, NDC, opposition), qui dominent la scène politique du pays se sont succédé à la tête de l’Etat, jouant le jeu de l’alternance. Cette année encore, bien que douze prétendants soient en lice pour le premier tour de la présidentielle, le match devra se jouer entre leurs candidats respectifs.
Contraint de par la Constitution de passer la main après deux mandats consécutifs, l’actuel chef de l’Etat, Nana Akufo-Addo, du NPP, élu en 2016 puis en 2020, ne peut plus se présenter. C’est Mahamudu Bawumia, 61 ans, son vice-président depuis 2017, économiste, banquier de formation et ancien gouverneur adjoint de la Banque centrale du Ghana, qui portera les couleurs du parti de l’éléphant (emblème du NPP).Il croisera le fer notamment avec l’un des politiciens les plus expérimentés du pays, John Dramani Mahama, candidat du NDC. Agé de 66 ans, M. Mahama est un ex-président sur le retour. Succédant en juillet 2012, à John Atta Mills, dont il était le vice-président, décédé brutalement après une courte maladie, il avait été élu dans la foulée chef de l’Etat lors de la présidentielle de décembre de la même année en battant d’une courte tête le candidat de l’opposition Nana Akufo-Addo. Mais en 2016, il est battu par ce dernier, et avait encore échoué une seconde fois en 2020 face au même adversaire. Les Ghanéens reprochaient notamment à celui qu’ils avaient surnommé « Mr Dumsor » — combinaison de « dum » (éteint) et « sor » (allumé) dans une langue du pays, à cause des nombreuses coupures d’électricité qui ont marqué son mandat —, son incapacité à bien gérer le pays dans un contexte économique difficile et à lutter contre la corruption qui a gangréné son pouvoir.
La fin du « Ghana sans aides »
Huit ans plus tard, l’ancien numéro un brigue de nouveau la magistrature suprême (presque) dans les mêmes conditions, car l’économie du pays ne se porte pas bien depuis quelques années.Longtemps cité en exemple en Afrique, le modèle ghanéen connaît des soubresauts depuis le début du second mandat de Nana Akufo-Addo suite à l’impact de la pandémie de Covid-19 et les retombées du conflit russo-ukrainien. Le pays traverse l’une des pires crises économiques de son histoire. Déjà très accablé par une forte dette (83,5% du PIB en 2021), le pays affiche une inflation qui atteint, en 2022, plus de 40%, alors que le cours du cedi, la monnaie locale, s’est écroulé à 54% provoquant une hausse exponentielle des prix des biens et services. Dans le même temps, les finances publiques sont épuisées et « il ne restait plus grand-chose pour soutenir le budget du pays », selon plusieurs analyses.Avec une dette estimée à 55 milliards de dollars, le pays se déclare en défaut contraignant le gouvernement à remiser au placard le slogan « Ghana Beyond Aid » (Ghana sans aides) tant prôné par le président Akoufo-Addo et appelle le Fonds monétaire international à la rescousse. En décembre 2022, il négocie avec l’institution financière des prêts de 3 milliards de dollars étalés sur trois ans, adossés à une batterie de réformes pour surmonter les difficultés économiques majeures.
L’économie en première ligne
Même si l’inflation a quelque peu ralenti, oscillant désormais entre 21% et 23%, et que certains indicateurs macro-économiques reprennent de la couleur depuis l’an dernier, la tâche ne sera pas de tout repos pour le futur locataire de la Jubilee House, le palais présidentiel ghanéen. A part le redressement de la situation économique préoccupante que connaît ce pays ouest-africain anglophone, grand producteur d’or et de cacao, le nouveau président devra aussi faire face au chômage qui atteint 14,7% de la population, dont 29,7% chez les jeunes, lutter contre la pauvreté qui gagne de plus en plus de Ghanéens.Et aussi veiller à la menace croissante de violences djihadistes dans le nord du territoire. C’est dire que les questions socio-économiques seront au centre des travaux d’Hercule de celui qui sortira des urnes au terme de cette consultation couplée aux législatives.
Pour Mahamudu Bawumia, surnommé « Monsieur Digital » pour son ambition de faire du Ghana un poids lourd de la technologie, « le parti au pouvoir a construit une économie résiliente qui est à l’aube d’une transformation et que ce n’est donc pas le moment de changer ». M. Mahama promet, lui, une « remise à zéro urgente pour le pays », qui a besoin d’« un dirigeant expérimenté à sa tête ». S’engageant à lutter contre le chômage, à s’attaquer à la dépréciation « alarmante » du cedi, ou encore à créer des tribunaux pour traiter les affaires de corruption…
K. Adu