Jusqu’où peut encore aller le Nigeria ? Depuis le 20 août 2019, la première puissance de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a décidé, de façon unilatérale et inattendue, de fermer ses frontières terrestres avec ses voisins. Officiellement pour lutter contre la contrebande aux frontières et la criminalité transnationale. «Lorsque la plupart des véhicules transportant du riz et d’autres produits alimentaires à travers nos frontières terrestres sont interceptés, vous trouvez des drogues dures bon marché et des armes légères sous les produits alimentaires. Cela a des conséquences terribles pour n’importe quel pays», a justifié, sans fournir la moindre preuve, le président nigérian Muhammadu Buhari. Une mesure au départ temporaire — 28 jours —, selon les autorités, mais qui perdure sept mois plus tard, malgré l’intervention de la Cédéao rappelant que «la fermeture unilatérale des frontières va à l’encontre de tous les traités commerciaux et de libre circulation signés par le Nigeria dans le cadre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest». Tout comme à l’encontre de la Zone de libre-échange continentale, entrée en vigueur le 31 mai 2019, visant à créer un marché unique continental avec la libre circulation des biens, des personnes et des investissements.
Pour le contrôleur général des douanes nigérianes, le colonel Hamid Ali, «le Nigeria ne pouvait plus croiser les bras en regardant de tels pays prospérer au détriment de notre économie ». Mais ce n’est un secret pour personne que cette déclaration cible avant tout le Bénin dont le président, Patrice Talon, entretient des relations en dents de scie avec son homologue nigérian. Reste que cette fermeture des frontières, une «politique de protectionnisme économique» qui ne dit pas son nom, impacte gravement l’économie du Bénin dont les recettes ont piqué du nez. «La part des recettes imputables à la fermeture des frontières est estimée à 48,6 milliards de francs CFA, soit un peu plus de 10% des recettes brutes de la douane et moins de 5% des recettes totales de 2019», a déclaré, début mars, Romuald Wadagni, le ministre béninois de l’Economie et des Finances. A Sèmè-Kraké, la plus importante frontière terrestre entre les deux pays et principale porte d’entrée des produits en provenance de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Togo à destination du marché nigérian, c’est le statu quo depuis le 20 août dernier : rien ne franchit la frontière. Selon plusieurs opérateurs économiques, les conséquences financières et humaines de ce blocage sont catastrophiques.
Un protectionnisme économique
Le Port autonome de Cotonou (PAC), qui réexporte 90% de ses cargaisons vers le Nigeria par voie terrestre, a vu son trafic chuter de près de 2% en 2019 en raison de la fermeture des frontières.Quant aux entreprises, dont 40 à 50% entretiennent des liens avec le géant voisin de 196 millions d’habitants, c’est la sinistrose. Certaines ont déposé le bilan, et celles qui tiennent encore vacillent, souligne la Confédération nationale des employeurs du Bénin. Dans les autres pays de la sous-région, qui entretiennent de près ou de loin des relations avec le Nigeria, la situation prend des allures tout aussi inquiétantes.Comme au Togo avec la flambée des prix, le manque de débouchés pour les produits initialement destinés au marché nigérian, des pénuries d’essence, etc. Au Niger, on table déjà sur une baisse d’une quarantaine de milliards de francs CFA des recettes douanières. Pour le président de la Commission de la Cédéao, l’Ivoirien Jean-Claude Kassi Brou, «cette fermeture a des répercussions profondes sur les échanges, les opérateurs économiques, sans oublier les consommateurs qui doutent aujourd’hui de notre communauté», évoquant des «conséquences financières catastrophiques». De son côté, l’agence de notation Moody’s ne cache pas ses inquiétudes en soulignant que l’impact négatif de cette fermeture des frontières nigérianes «serait très important sur les indicateurs de croissance des pays voisins ainsi que sur le déficit de leur balance des paiements».
Le 9 février, la Cédéao a mis en place un comité dirigé par le président burkinabè, Roch Marc Christian Kaboré «chargé d’entreprendre une étude complète de la situation, de faire un rapport et ensuite de prendre les mesures nécessaires», sans précision de la date de remise dudit rapport, que le chef de l’Etat nigérian se dit prêt à examiner dès que possible : «Une fois que le comité présentera ses recommandations, nous siégerons et les examinerons afin de prendre une décision.» La réouverture des frontières du Nigeria n’est donc pas pour demain.
Eudes Sossa>