Aéroport complètement plongé dans le noir, tour de contrôle muette, tout comme les radars, systèmes de balisage lumineux de la piste éteints, groupe électrogène de secours hors service … on a frôlé la catastrophe dans la nuit du 10 au 11 septembre à l’aéroport international de N’Djili où devait atterrir l’avion du chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, de retour d’un voyage au Kazakhstan. Une situation qui a contraint le Boeing 737 du numéro un congolais à tourner en l’air pendant plusieurs minutes avant de se poser. Expert en transports aériens, en intelligence et guerre économique, Didier Bokungu Ndjoli, revient sur les conséquences de la catastrophe, évitée de justesse.
Si ce black-out a fini par être résolu, au grand soulagement du personnel et des sécurocrates de l’aéroport, il « reste que cet incident n’est pas à minimiser, car il a mis en difficulté l’intégrité d’un vol présidentiel », souligne Didier Bokungu Ndjoli, par ailleurs pilote privé, il rappelle que la RDC est un pays en guerre et que la plateforme aéroportuaire de N’Djili est aussi une base aérienne des Forces armées de la RDC. Il précise par ailleurs que la tour de contrôle de N’Djili ( FZAA- selon le code OACI) gère aussi la FIR ( Flight Information Region) de Kinshasa, ce qui signifie que tous les aéronefs en survol de la RDC sont pris en charge par elle. Pour lui, le désagrément qu’a connu l’avion du chef de l’Etat doit être assimilé à une menace directe sur la sécurité présidentielle et nationale. « La RVA (Régie des voies aériennes, Ndlr) a incontestablement mis en danger le chef de l’Etat. Le retard et la mise en attente prolongée de son avion l’ont exposé à un risque sécuritaire majeur, surtout dans un contexte de guerre », explique-t-il, relevant qu’« un appareil en approche, sans possibilité d’atterrissage immédiat, devient vulnérable face à des menaces extérieures (attaque au missile, interception par drone…). Le risque que l’aéronef tombe en panne sèche n’est pas à exclure. Cet incident met à nu la vulnérabilité de l’Etat. Le chef de l’Etat incarne la continuité institutionnelle. Un incident de ce type fragilise l’image de stabilité et peut être exploité par des adversaires internes ou externes ».
Autre conséquence majeure de cet incident : l’impact militaire et stratégique. «La plateforme aéroportuaire de N’Djili est à double usage civil et militaire. Cet aéroport est aussi une base aérienne des FARDC. Une panne de cinq heures signifie que la capacité opérationnelle (décollage ou atterrissage d’urgence d’appareils militaires, logistique de guerre, mouvements stratégiques) a été paralysée », analyse Didier Bokungu Ndjoli. Selon lui, cela s’apparente à un affaiblissement du dispositif de défense de la capitale : « Dans un pays en guerre, une panne de ce genre, non maîtrisée à temps, donne un signal de vulnérabilité, exploitable par des forces ennemies. »
Sur le plan aéronautique, l’aéroport de N’Djili revêt une importance capitale. D’autant qu’il gère l’ensemble de la Région d’information de vol (FIR). « Cela signifie que pendant la panne électrique, tous les aéronefs en survol de la RDC ont été négativement affectés. Il y avait donc une impossibilité de gérer le trafic aérien en toute sécurité. Cela aurait pu engendrer une série de collisions des avions ou d’abordages aériens », critique ce pilote expérimenté. La RDC apparaît maintenant en défaut vis-à-vis de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et des compagnies aériennes étrangères, ce qui pourrait mener à des restrictions, des sanctions, voire à un isolement aérien. Plusieurs vols ayant été redirigés vers Congo-Brazzaville, l’impact économique est donc indéniable. Cela a perturbé le programme des vols de plusieurs compagnies aériennes. Le retard subi par leurs vols de nuit et correspondances entraîne inévitablement des coûts financiers importants (indemnités de retard, réacheminements, perte d’image). Cet incident envoie aussi un signal négatif aux investisseurs. « Une capitale dont l’aéroport international est paralysé plusieurs heures par une panne banale d’électricité envoie un message d’instabilité et de manque de fiabilité des infrastructures », regrette Didier Bokungu.
Ce dernier parle également d’une crise diplomatique potentielle, car des aéronefs étrangers ayant été retardés, les Etats lésés peuvent protester auprès des autorités rd-congolaises. Depuis l’incident, qualifié de « grave dysfonctionnement » par des sources officielles, des têtes commencent à tomber. A commencer par le commandant de l’aéroport, Lundula Lutshaka, suspendu jusqu’à nouvel ordre. Il lui est notamment reproché d’avoir « laissé en place un technicien de permanence incompétent, qui n’a pas su observer le protocole mis à sa disposition pour activer le mode opératoire du secours inversé ».
Mais Didier Bokungu met aussi en avant des considérations politiques et sécuritaires inhérentes à ces désagréments, et pointe du doigt un affaiblissement de l’autorité de l’Etat : « La panne qui perdure démontre le manque de plan urgent de contingence, une incapacité à sécuriser les infrastructures critiques, ce qui peut alimenter la défiance publique. » Il y va aussi de la responsabilité institutionnelle. « Un tel incident met en cause la gestion des infrastructures stratégiques par des organismes concernés (Transports, Défense, Énergie et Sécurité) », relève-t-il.
Reste que cette défaillance technique, qui a mis en péril la sécurité du président Tshisekedi, interpelle sur l’état des infrastructures aéronautiques en RDC et appelle à des réformes en profondeur. Pour de nombreux voyageurs qui empruntent l’aéroport de Kinshasa, cet incident aérien dépasse le « simple » retard de l’avion présidentiel. « Cet événement malheureux constitue un cas d’école pour justifier des investissements urgents dans la sécurisation énergétique, la redondance technique et la gouvernance aéroportuaire », souligne Didier Bokungu Ndjoli. Un tel incident dépasse largement la simple panne technique. Il relève désormais de la sécurité nationale, avec des implications politiques (fragilité de l’Etat et du Président), militaires (paralysie d’une base militaire stratégique), aéronautiques (atteinte à la sûreté de la FIR Kinshasa et de l’aviation internationale), économiques (pertes financières) et diplomatiques (tensions avec les compagnies et les États concernés).
D’où la sonnette d’alarme tirée par Didier Bokungu. « Cet incident doit être traité comme un signal d’alarme, nécessitant une réponse immédiate : mise en place de systèmes de secours autonomes, audit des infrastructures critiques, et adoption d’une doctrine claire de protection des installations vitales. Il faudrait enfin repenser le management de la RVA et sa collaboration avec la Force aérienne de la RDC, dans les cas d’incidents critiques. »
La Rédaction