Le président Idriss Déby Itno s’est rendu jeudi dernier à Brazzaville où il a assisté, le lendemain, à la cérémonie d’investiture de son homologue congolais, Denis Sassou Nguesso. Sans savoir qu’ils se voyaient alors pour la dernière fois, les deux hommes ont dû certainement, au moment de se dire au revoir, se donner rendez-vous pour une nouvelle rencontre cette fois-ci à N’Djamena. En effet, assuré d’être réélu pour un nouveau mandat à la tête du Tchad qu’il dirigeait depuis trois décennies, le président Déby prévoyait déjà de recevoir ses pairs d’Afrique centrale lors de sa prochaine investiture. Mais le destin en a décidé autrement. Si les conditions sécuritaires le permettent, ces derniers feront certes le déplacement de N’Djamena comme prévu. Mais ce sera plutôt pour aller s’incliner devant la dépouille mortelle de l’ancien maître du pays. Car le maréchal Idriss Déby Itno a entre-temps été mortellement blessé au front où il s’est rendu quelques heures seulement après son retour de Brazzaville.
Arrivé au pouvoir en décembre 1990 par les armes, le défunt numéro un tchadien était un guerrier dans l’âme. Lorsque son régime était menacé par des mouvements rebelles, lui considérait que sa place était sur les champs de bataille plutôt que dans son palais. Il troquait alors sa djellaba ou son boubou contre le treillis. Il aimait aller lui-même commander ses troupes au combat. Si quelqu’un devait défendre le pouvoir face à ses ennemis armés, c’était bien lui. Il prenait à cœur de remplir pleinement son rôle de commandant suprême de l’armée tchadienne. Quelque peu fatigué après un séjour de plus de 24h dans la capitale congolaise, le maréchal Idriss Déby Itno aurait bien pu se contenter de transmettre ses ordres par phonie à ses généraux en respirant l’air climatisé du palais présidentiel. Mais il était de ceux qui voulaient avant tout prêcher par l’exemple : un chef militaire ne gagne ses galons et ses médailles que sur les champs de bataille. Agé de près de 70 ans, Déby n’était pourtant plus le jeune guerrier qu’il fut au moment où il chassa Hissène Habré du pouvoir. Sa canne qui lui servait parfois de troisième jambe était là pour montrer les effets du temps sur son organisme.
Retour en arrière. En 2008, une rébellion était déjà sur le point de renverser le président Déby. Les assaillants avaient alors réussi à s’approcher du palais présidentiel. Le chef de l’Etat et ses fidèles s’y trouvaient. Ils étaient même coupés du monde car les communications via le téléphone mobile ne passaient plus. Les rebelles voulaient ainsi les isoler du reste du monde pour éviter que ne s’organise une riposte venant de l’extérieur du palais. Quant aux autres chefs d’Etat de la sous-région, ils se trouvaient tous, excepté le Camerounais Paul Biya, à Addis Abeba, en Ethiopie, pour un sommet de l’Union africaine. Feu Omar Bongo Ondimba, du Gabon, avait battu le rappel de tous ses amis afin de l’aider à faire élire Jean Ping, son candidat, à la tête de la commission de l’UA. Cerné, lui, dans son palais par les rebelles qui sont presque sur le point de s’emparer du pouvoir, Idriss Déby Itno ne donne plus signe de vie. Le monde entier ignore alors le sort du maître de N’Djamena. Les observateurs pensent alors que les jours voire les heures du locataire des lieux sont comptés. Est-il blessé ? Est-il toujours en vie ? Rien ne filtre du palais présidentiel. Seul l’actuel chef de la sécurité rapprochée du président Denis Sassou Nguesso parvient miraculeusement à joindre le « guerrier » dans son palais via le téléphone… fixe. Car les rebelles ont dû oublier de couper ce réseau filaire en sectionnant par exemple le câble. Le président congolais a pu ainsi être informé que son « frère », un militaire comme lui, préférait mourir dans son palais, les armes à la main, plutôt que de se rendre et de renoncer au pouvoir. Mais son heure n’était visiblement pas encore arrivée, car il a réussi à sauver son régime grâce notamment à un soutien, in extremis, de l’armée française. Cette semaine, le maréchal du Tchad n’a pas eu la baraka : la mort l’attendait à la fin du processus électoral. Et ce, malgré sa nette victoire obtenue lors du scrutin présidentiel du 11 avril.
La Rédaction