Entretien avec Sébastien Boreux, analyste crédit chez S&P Global Ratings : « Le Burkina se trouve confronté à de nombreux défis »

Selon l’agence de notation S&P Global Ratings, le «Pays des hommes intègres» évolue dans un contexte sécuritaire préoccupant. Une dégradation de la situation actuelle aggraverait encore les choses. Mais comment rassurer les investisseurs ? Et ce, alors que les résultats économiques ne sont pas si mauvais : 6% de croissance du PIB par an. L’analyste de S&P Global Ratings, avec une bonne dose de pédagogie, énumère les autres défis à relever par le gouvernement burkinabé.

Sébastien Boreux de S&P Global Ratings

La dernière note attribuée au Burkina Faso par S&P est « B/B» avec une perspective stable. Qu’est-ce que cela veut dire pour le citoyen lambda ? Qu’est-ce qui explique la mise sous perspective stable de cette note du Burkina Faso ?

Les notations souveraines de S&P Global Ratings évaluent la qualité de crédit d’un Etat. En d’autres termes, nous émettons une opinion sur la volonté et la capacité d’un Etat de payer ses obligations financières à temps, dans leur entièreté, et selon les termes originaux du contrat. Nous prenons en compte plusieurs facteurs dans notre analyse : la qualité et la stabilité des institutions, la performance et la vulnérabilité de l’économie, les comptes extérieurs, la position budgétaire et l’encours de la dette publique, ainsi que la politique monétaire.

La note attribuée au Burkina Faso est de « B ». Cette note se situe en catégorie dite « spéculative », ce qui  s’explique entres autres par les défis sécuritaires auxquels le pays fait face, le faible niveau de développement avec un PIB par habitant d’environ 600 dollars, parmi les plus faibles de l’ensemble des souverains notés par S&P Global Ratings, ainsi que la vulnérabilité à la variation des prix de l’or, principal produit d’exportation du pays. La note reste néanmoins soutenue par une activité économique vigoureuse, un fort soutien des bailleurs internationaux et l’appartenance du Burkina Faso à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa)

A titre de comparaison en Afrique subsaharienne, la note du Burkina Faso est identique à celles du Togo (B), autre pays de l’Uemoa, et du Cameroun, dont la perspective est cependant négative. Elle se situe un cran au-dessous de celles du Benin (B+) et du Sénégal (B+), trois crans au-dessous de celle de l’Afrique du Sud (BB), et huit crans au-dessous de celle du Botswana (A-), pays exportateur de diamants. Elle se situe cependant un cran au-dessus de la note du Congo Brazzaville (B-) et de l’Angola (B-), deux pays pourtant riches de leurs gisements pétroliers.

Le maintien de la perspective stable du Burkina Faso lors de notre dernière revue met en balance les risques de contre-performance sur les plans économiques et budgétaires, potentiellement causée par une hausse de l’insécurité ou des retards dans la mise en œuvre des réformes, et nos anticipations d’un maintien d’une certaine stabilité politique, d’une croissance soutenue et de la poursuite de la consolidation budgétaire.

Comment appréciez-vous la capacité du gouvernement burkinabé à payer ses dettes en 2019 ?

Malgré les risques importants, inhérents à une note située dans la catégorie spéculative, nous n’envisageons pas de scénario de défaut dans les douze mois à venir, ce qui correspondrait à une note en catégorie CCC. Il est important de noter qu’environ les deux tiers de la dette publique sont de nature concessionnelle.

Comme nous l’indiquions dans notre dernière publication et au vu du fort soutien des partenaires internationaux, nous nous attendons à ce que les dons et prêts concessionnels restent les principales sources de financement des autorités, en plus des émissions en CFA sur le marché régional.

Qu’est-ce qui a changé dans la qualité de l’investissement dans les infrastructures ?

Le manque d’infrastructures de qualité est un frein au développement du Burkina Faso. Insuffisant et peu fiable, l’approvisionnement en électricité reste l’un des principaux goulots d’étranglement de l’économie burkinabé tandis que la faible qualité des circuits d’approvisionnement pèse sur le développement des secteurs agricole et minier.

Le gouvernement a donc mis au point des critères d’évaluation de la qualité des investissements publics et a validé son Plan de développement économique et social (PNDES) pour 2016-2020 suite aux élections présidentielles de novembre 2015. Dans ce cadre, les autorités investissent de manière importante dans l’amélioration des infrastructures du pays. Par exemple, dans le secteur de l’énergie, les projets en cours, la centrale photovoltaïque de Zagtouli, inaugurée fin 2017, ou le développement de l’électrification des communautés rurales témoignent des progrès accomplis. Toutefois, malgré les efforts des autorités dans ce domaine, le taux d’accès à l’électricité demeure très faible, même dans les grandes villes.

Quel commentaire vous inspirent les perspectives économiques du Burkina ? L’évolution du PIB  est-elle rassurante ?

Nous prévoyons une activité économique robuste dans les années à venir, avec notamment une croissance du PIB réel supérieure à 6%. Les bonnes performances de la production minière et agricole, ainsi que les investissements publics porteront l’activité dans le pays.

D’importants risques subsistent cependant. La dégradation de la situation sécuritaire, la dépendance à l’égard du secteur agricole, affecté par les conditions météorologiques et les fluctuations des prix, et la vulnérabilité à une baisse des prix de l’or, qui représente 70% des exportations du pays, pourraient freiner les investissements étrangers et négativement impacter les perspectives économiques s’ils venaient à se matérialiser.

Aux yeux des analystes de S&P, quels sont les principaux atouts et  freins à l’investissement étranger au Burkina ?

Le Burkina Faso est un pays riche en ressources naturelles, et notamment en or. La production aurifère a considérablement augmenté ces dernières années, de cinq tonnes en 2008 à 55 tonnes en 2018. Par ailleurs, de nouvelles mines sont entrées en production ces derniers mois et d’autres devraient suivre dans les prochaines années. Une hausse des prix de l’or sur les marchés internationaux encouragerait davantage d’investissements étrangers. L’important soutien du Fons monétaire international (FMI) et des différents bailleurs de fonds est également de nature à rassurer les investisseurs, notamment sur la mise en œuvre de réformes structurelles visant à soutenir le développement du pays. Enfin, l’appartenance à l’Uemoa, que nous considérons comme un facteur de stabilité économique pour les pays de l’union monétaire, est également un facteur favorisant les investissements étrangers, selon nous.

Cependant, le climat des affaires difficile, le manque d’infrastructures de qualité et surtout la dégradation importante de la situation sécuritaire dans le pays constituent un réel frein à l’attractivité du pays. L’attaque récente d’un convoi d’une compagnie minière dans l’Est du pays, qui a fait une quarantaine de morts et environ soixante blessés, met en évidence les risques importants pour le principal secteur destinataire d’investissements étrangers.

Le Burkina prend-il le chemin de l’émergence économique ?

Malgré une croissance économique élevée et résiliente, que nous anticipons à plus de 6% dans les années à venir, les défis restent nombreux et le chemin est encore long en terme de développement, de niveau de vie, d’infrastructures et de diversification de l’économie.

Le taux de pauvreté reste élevé et le PIB par habitant très bas (à 600 dollars environ, contre 6000 dollars environ pour un pays émergent comme l’Afrique du Sud). La mise en œuvre de réformes structurelles soutenant une croissance inclusive est compliquée par le contexte sécuritaire actuel.

Quels sont les événements, les éléments ou les réformes qui pourraient avoir une incidence positive sur la note du Burkina lors de la prochaine évaluation ?

La situation sécuritaire reste aujourd’hui l’élément clé. Elle pèse sur le budget, la confiance des investisseurs et retarde l’avancée de certains projets. Une dégradation pourrait avoir des conséquences importantes pour l’économie Burkinabé. A l’inverse, une nette amélioration serait favorable à ses perspectives.

Comme indiqué dans notre dernière publication, nous pourrions relever la note du Burkina Faso si le rythme de la croissance était sensiblement supérieur à nos prévisions actuelles, ou si les déficits extérieurs et budgétaires, ainsi que le ratio de la dette publique nette par rapport au PIB diminuaient.

Quels sont les défis à relever par le Burkina Faso en vue d’une amélioration de sa note ?

Outre l’amélioration de la situation sécuritaire et à plus long terme, la mise en œuvre de réformes structurelles visant à soutenir une croissance inclusive et réduire la pauvreté en améliorant la gouvernance et le climat des affaires, diversifiant l’économie et remontant la chaine de valeur, dans le coton en particulier, permettrait d’améliorer les perspectives du pays.

Le développement des infrastructures et l’amélioration de l’accès à l’électricité permettraient de décongestionner les principaux goulots d’étranglement de l’économie et d’avoir un impact positif sur l’activité du secteur privé lequel, selon nous, est indispensable au développement inclusif et pérenne de l’économie du pays.

Quel est le gain que le Burkina pourrait retirer d’une réforme de la zone Franc attendue en 2020 ?

Les réformes annoncées de la zone franc, vers la création de l’Eco à l’échelle de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) sont à suivre avec attention. Nous considérons que l’appartenance du Burkina Faso à l’Uemoa est une source de stabilité macroéconomique. C’est aussi une source de coordination des politiques publiques, notamment budgétaires et macro-prudentielles. La garantie de convertibilité du franc CFA en euro par le Trésor public français et la mutualisation des réserves de change des 8 Etats membres auprès de la Banque Centrale régionale offrent une protection contre les chocs subis par la balance des paiements d’un pays donné, réduisant ainsi les vulnérabilités extérieures.

Dans notre scénario de base, nous n’anticipons pas de changements structurels des accords monétaires actuels en 2020. Bien que des changements symboliques, comme le nom de la monnaie, puissent avoir lieu, la garantie de convertibilité et l’ancrage à l’euro devraient rester en vigueur. Selon nous, une transition vers une monnaie unique, au taux de change flexible, dans le cadre de la Cedeao sera un processus relativement long au vu des exigences de convergences économiques et la complexité du processus politique et technique.

Propos recueillis par Jean-Mathis Foko

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