Tribune : Landru est condamné parce qu’il n’a pas tourné la tête : justice, apparence et trahison du juge dans l’Afrique des transitions

Me Mamadou Ismaïla Konaté

Et si la tragédie de Landru, condamné pour n’avoir pas tourné la tête, trouvait aujourd’hui un écho dans l’Afrique des transitions ? Dans ce texte percutant, l’avocat et ancien garde des Sceaux du Mali, auteur du livre « Justice en Afrique,ce grand corps malade », Mamadou Ismaïla Konaté, établit un parallèle saisissant entre le procès du célèbre criminel français et la dérive silencieuse d’une partie de la justice africaine. Sous sa plume, le prétoire devient un miroir politique : celui où se joue non plus le sort d’un homme, mais celui de la conscience des juges. Entre courage et servitude, vérité et compromission, Konaté interroge la responsabilité morale de la justice face aux dérives autoritaires et appelle à un sursaut : celui du juge qui ose regarder le droit en face. Pour l’avocat aux barreaux du Mali et de Paris, en Afrique la justice ne manque pas de textes, mais d’âmes. Elle souffre moins de la pauvreté du droit que de la pauvreté du courage.

«Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.» Albert Camus)

« L’Afrique n’a pas besoin de juges serviles, mais de consciences debout.» (Léopold Sédar Senghor)

Dans la salle d’audience du tribunal de Versailles : Landru et la tragédie du regard.

Dans la salle d’audience du tribunal de Versailles,à l’hiver 1921, un homme se dresse, froid, impassible, face à ses juges et au jury. C’est Henri Désiré Landru, accusé d’avoir séduit,trompé,puis assassiné plusieurs femmes pendant la guerre. Barbe noire,regard fixe, costume sombre : il semble étranger à tout ce qui l’entoure. Il écoute sans réagir les accusations qui s’abattent sur lui, ne montre ni effroi ni repentir. Et lorsque le verdict tombe — la condamnation à mort — il ne tourne pas la tête vers la cour. Maurice Garçon, chroniqueur judiciaire, en tira cette phrase célèbre : « Landru est condamné parce qu’il n’a pas tourné la tête.» Autrement dit, il n’a pas été puni seulement pour ses crimes, mais pour son attitude. La justice, submergée par la psychologie et le besoin de châtier, condamna une posture plus qu’une culpabilité. Ce jour-là, à Versailles, la justice refléta les passions de la société : émotive, vengeresse, fascinée par l’image du coupable.

De Versailles à Bamako : quand le refus du compromis devient un crime. Un siècle plus tard, dans plusieurs pays africains, une autre tragédie judiciaire se joue. Ce ne sont plus les criminels qui sont condamnés pour leur silence, mais certains citoyens intègres pour leur parole. Ainsi, Ben le Cerveau et le professeur Clément Dembélé, comme d’autres figures aussi célèbres les unes que les autres de la société civile, n’ont pas tourné le dos. Comme eux et bien d’autres, Moussa Mara a regardé la vérité en face — celle du désordre politique, de la confiscation du pouvoir et du reniement de la démocratie. Et c’est précisément pour cela qu’ils ont été visés, poursuivis et jugés. Dans certains pays, le refus du compromis devient un crime, la parole devient une insubordination, la droiture devient une menace.

Par Mamadou Ismaïla Konaté, avocat, ancien garde des Sceaux, ministre de la Justice du Mali