«Ye wana, ye wana Taeymans [C’est lui Taeymans] !», tel est l’accueil qui a été réservé par ses employés au directeur général de Rawbank libéré vendredi 20 mars par la justice congolaise. Agglutiné dans le hall de l’immeuble qui abrite le siège de la banque dans le quartier des affaires de la Gombe, à Kinshasa, le personnel s’est réjoui que Thierry Taeymans ait recouvré la liberté. Son incarcération, une semaine plus tôt, à la prison centrale de Makala a fait l’effet d’une bombe et causé une mauvaise publicité à l’établissement bancaire appartenant à une famille indienne, les Rawji. Le patron belge n’en a pas pour autant fini avec la justice. D’autant qu’il ne s’agit que d’une libération conditionnelle contre le paiement d’une caution importante. Certaines sources l’évaluent à 35 millions de dollars.
Tout commence par l’arrestation de l’homme d’affaires libanais Jammal Sammih, le patron des sociétés Samibo et Husmal, qui a obtenu l’an dernier un contrat de 57 millions de dollars pour construire des maisons préfabriquées dans le cadre du programme des cent jours lancé par le président Félix Tshisekedi. Ce marché lui a été accordé de gré à gré avant l’arrivée de l’administration Tshisekedi par le précédent gouvernement dirigé par le Premier ministre Bruno Tshibala. Mais il n’a connu, jusqu’en janvier 2019, aucun début d’exécution. Dépoussiéré par le nouveau pouvoir, ce projet a ensuite été repris dans le programme des cents jours. Malgré le versement de la somme à l’entrepreneur, les travaux ont trainé en longueur. Les maisons préfabriquées devant être importées de l’étranger.
Cela n’a pas tardé à provoquer le courroux présidentiel. Félix Tshisekedi n’a pas été convaincu par les explications qui lui ont été fournies à l’époque par ses services. Il y va de son honneur. D’autant que le bilan qu’il devait présenter en janvier dernier pour le premier anniversaire de son arrivée à la tête du pays paraît bien maigre aux yeux de l’opinion. Plusieurs chantiers prévus dans son programme sont inachevés ou à l’abandon. Le président congolais ne pouvait pas ne pas entendre le mécontentement général qui monte dans la capitale. Il demande alors à la justice d’ouvrir une enquête pour décanter la situation et établir les responsabilités des acteurs impliqués dans ce projet.
Jammal Sammih est rapidement écroué à la prison centrale de Makala. Il doit s’expliquer sur l’utilisation de l’argent public déjà reçu. L’affaire est instruite par le parquet de Matete. Sourds aux éventuelles interventions extérieures, les enquêteurs sont intrigués par plusieurs zones d’ombre. Selon une source proche du dossier, les 57 millions de dollars devaient au départ être virés sur un compte de l’entreprise à Ecobank. Mais cette dernière appliquant rigoureusement les règles anti-blanchiment édictées par la Banque centrale du Congo (BCC), l’opération est déroutée comme par enchantement vers un autre compte, cette fois-ci, à Rawbank. Or, à en croire la même source, ce compte de la Samibo avait été fermé en janvier 2019 avant d’être réactivé (“opportunément”, disent les mauvaises langues) deux mois plus tard. Dans leurs recherches, les enquêteurs découvrent notamment que 12 millions de dollars ont atterri sur le compte privé de l’entrepreneur ouvert à Rawbank.
Par ailleurs, ils constatent aussi que 38 millions de dollars ont été retirés en espèces en plusieurs tranches du compte de l’entreprise, «sans aucune justification claire». Or les maisons préfabriquées devaient provenir de l’étranger. Là encore, les traces de paiement des importations trouvées par les fins limiers du parquet de Matete ne sont pas suffisantes pour disculper le Libanais. Seuls 3 millions sur les 38 millions de dollars ont pu être retracés (d’où la fixation ultérieure de la caution exigée à hauteur de 35 millions de dollars). La première banque commerciale congolaise apparaît donc dans le dossier. Son directeur général est convoqué à son tour à Matete, avant de rejoindre le week-end dernier en prison, pour des raisons d’enquête, le client de la banque qu’il dirige. L’enquête suit son cours. Jammal Sammih est quant à lui maintenu en détention. Sur les 12 millions de dollars virés sur son compte «particulier», les enquêteurs n’ont pu retrouver que 9 millions, reversés après au Trésor public.
Plus chanceux, Thierry Taeymans a donc bénéficié, lui, d’une libération conditionnelle après versement d’une forte caution par Rawbank. Pour lui aussi, l’enquête se poursuit afin d’établir ou non la responsabilité de la banque dans les sorties massives de fonds en espèces du compte de l’entreprise cliente. Des retraits qui ont pu se faire, d’après une source proche du dossier, en violation des règles anti-blanchiment édictées par la BCC. Dans sa décision, la justice congolaise a pris aussi en compte l’état de santé de Thierry Taeymans. Ce ressortissant belge a récemment subi une intervention chirurgicale. Pourra-t-il cependant quitter la RDC pour des raisons médicales ? Rien n’est moins sûr, d’autant que les enquêteurs aimeront sûrement l’entendre encore. Le dossier est loin d’être clos.
La Rédaction >