Avec la disparition soudaine, le 8 juin, de Pierre Nkurunziza, son successeur, le général Évariste Ndayishimiye, élu le 20 mai dernier, revêt un peu plus tôt que prévu les habits de chef de l’Etat. Son investiture a été accélérée par la Cour constitutionnelle avec le décès « inopiné » de son prédécesseur, qui devait, en principe, rester en fonction jusqu’au 20 août prochain. « Les circonstances sont exceptionnelles », ont argué certains cadres du CNDD-FDD, le parti au pouvoir, pour demander d’« accélérer la prestation de serment du général Évariste Ndayishimiye », histoire d’éviter « une trop longue période d’incertitude ». Un avis partagé par la Cour constitutionnelle qui a déclaré, le 12 juin, que « le président élu, Evariste Ndayishimiye, doit prêter serment le plus rapidement possible ». Evitant au pays une longue période de transition, qui pourrait devenir une source d’incertitude, d’immobilisme, voire de tensions synonyme de tous les dangers. La disparition brutale de celui qui a dirigé le Burundi en coupes réglées depuis quinze ans ne devrait donc pas laisser de vide institutionnel, mais plusieurs interrogations demeurent.
Secrétaire général du parti depuis 2016, le nouveau chef de l’Etat, originaire de la région de Gitega (est du pays), hérite d’un pays déchiré par la crise politique née de la candidature à un troisième mandat, très controversé en 2015, de l’ancien professeur d’éducation physique, à la tête du Burundi depuis 2005. Conséquence, le pays connaît depuis une criminalité exponentielle, une économie en berne, une société gangrénée par la corruption, un gel de la coopération avec l’Occident (le Burundi est toujours sous le coup de sanctions de ses principaux bailleurs de fonds, notamment l’UE, la Belgique ou encore l’Allemagne), un taux de pauvreté qui a atteint des sommets, des centaines de réfugiés à l’extérieur, entre autres. « Le bilan économique des 15 années de pouvoir de Nkurunziza est catastrophique. Il a fait reculer le Burundi sur tous les plans. Il a totalement isolé le pays de ses bailleurs de fonds traditionnels et même des pays voisins, c’est une calamité », s’indigne un cadre du principal parti d’opposition, le Conseil national pour la liberté (CNL). Évariste Ndayishimiye pourra-t-il changer la donne et comment ?
Il a promis de lutter contre la pauvreté et de développer le pays. Mais dans un Burundi, dont les dirigeants ont bien souvent fait passer les intérêts du parti au pouvoir avant ceux de l’Etat, il va devoir naviguer entre le marteau et l’enclume pour préserver les intérêts de ceux qui l’ont fait roi. Si la désignation de Pierre Nkurunziza « guide suprême du patriotisme », « président du conseil des sages », organe suprême du parti au pouvoir, après son renoncement à se présenter à sa propre succession en 2020, constituait une sorte de mise sous tutelle du nouveau Président, sa mort soudaine lui donne un peu plus de marge de manœuvre. « Pierre Nkurunziza devrait être une référence pour tout, car le titre de «guide suprême » n’a pas de limite ; demain Évariste Ndayishimiye pourra prendre des décisions et les assumer», confie un militant du parti au pouvoir, ajoutant que « son décès inopiné va donner au futur président une plus grande marge de manœuvre ». Mais, même s’il jouit d’une réputation d’ouverture, de dialogue et affiche un profil plutôt modéré, il aura fort à faire pour se défaire du carcan, voire de l’étau des faucons du régime pour s’imposer. En effet, la désignation d’Évariste Ndayishimiye comme candidat du parti à la présidentielle de mai dernier est le résultat d’un compromis entre le défunt président Nkurunziza, dont il n’était pas le premier choix (il aurait préféré un civil, Pascal Nyabenda, le président de l’Assemblée nationale), et le groupe de généraux issus de l’ex-rébellion CNDD-FDD qui contrôlent tous les leviers du pouvoir. Ces derniers étaient déterminés à conserver un militaire au sommet du l’Etat.
Ancien ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique en 2006, puis tour à tour chef de cabinet militaire et civil de Pierre Nkurunziza, Évariste Ndayishimiye, 52 ans, aura, du moins dans les premières années de son mandat, une épée de Damoclès au-dessus de la tête : celle du petit cercle de généraux, dont il est aussi issu, qui constituera toujours le pouvoir caché et le véritable centre de décision. Cette « junte » de généraux proches du défunt président, occupe des positions stratégiques et conserve une influence considérable. Il s’agit, entre autres, d’Alain Guillaume Bunyoni, ministre de la Sécurité publique; Étienne Ntakarutimana, alias Steve, ancien chef du Service national de renseignement, aujourd’hui chef de cabinet militaire à la présidence ; Prime Niyongabo, chef d’état-major des Forces de défense nationale ; Gabriel Nizigama, alias Tibia, chef de cabinet civil à la présidence ; Silas Ntigurirwa, ancien secrétaire permanent du Conseil national de sécurité ; Emmanuel Miburo, alias Komater, directeur de l’Institut national de sécurité sociale (INSS) et Gervais Ndirakobuca, alias Ndakugarika (« Je vais te tuer », en kirundi), chef du Service national de renseignement. Manifestement, même en l’absence de Pierre Nkurunziza, la volonté du nouveau chef de l’Etat burundais d’introduire des réformes importantes dans des domaines sensibles tels que les libertés civiles pourrait dépendre de la volonté de cette clique de généraux souvent qualifiés de « durs » du régime, qui « ont intérêt à se protéger », souligne Carina Tertsakian, de l’Initiative pour les droits humains au Burundi. Dans tous les cas, il lui faudra user de stratégie pour contrôler les divisions au sein de ses anciens compagnons d’armes et du parti.
Parallèlement Évariste Ndayishimiye doit faire face à des défis considérables. Il doit, dans l’immédiat, gérer l’épidémie du Covid-19 que son prédécesseur a semblé minimiser, réconcilier le pays et s’attaquer à la grave crise économique que connaît le Burundi depuis plusieurs années, avec des conséquences désastreuses pour les populations. Selon la Banque mondiale, 75% de la population vit aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté, contre 65% à l’arrivée au pouvoir de Pierre Nkurunziza en 2005. Il devra aussi rompre l’isolement régional et international dans lequel le pays est plongé. Autant de montagnes de défis à relever pour le nouveau chef de l’Etat burundais.
La Rédaction>