Parmi les bons élèves, il y a le Ghana où les électeurs se rendent aux urnes en décembre pour se choisir un nouveau président. Depuis la transition vers la démocratie multipartite en 1992, les élections dans ce pays ont toujours été pacifiques et les résultats considérés comme justes et équitables. La présidentielle de 2020 ne devrait pas déroger à la tradition. Tout au plus elle constitue un match de revanche entre les deux grandes formations qui dominent la vie politique de l’ancienne Gold Coast, le Nouveau parti patriote (NPP) du président sortant Nana Akufo-Addo et le Congrès national démocratique (NDC) de l’ancien chef de l’Etat John Dramani Mahama. Ce dernier l’avait emporté en 2012 devant le premier lors d’un scrutin très serré. Puis Akufo-Addo avait gagné en 2016. Les bookmakers pronostiquent une élection présidentielle 2020 aussi disputée qu’en 2012. Mais le pays dispose désormais d’institutions relativement solides entourant ses processus électoraux pour garantir un scrutin apaisé, comme par le passé.
C’est dire que la consolidation de la démocratie n’est pas un vain mot dans cet Etat de l’Afrique de l’Ouest, à l’opposé d’autres pays de la sous-région où le rythme des alternances amorcé semble s’être réduit comme une peau de chagrin.
Au Togo, Faure Gnassingbé, qui a déjà remporté trois scrutins — toujours contestés avec des violences postélectorales — depuis qu’il a succédé à son père en 2005, a été réélu en février pour un quatrième mandat à l’issue d’une présidentielle aussi décriée que les précédentes. Au pouvoir depuis 15 ans, le « Fils » pourrait même s’y maintenir jusqu’en 2030 au moins, grâce à une révision constitutionnelle adoptée en 2019 lui permettant de se représenter pour deux mandats de cinq ans supplémentaires.
Premier président démocratiquement élu en 2010 après des décennies de pouvoir militaire, puis réélu en 2015 pour un deuxième et dernier mandat, le Guinéen Alpha Condé compte bien rempiler à Sékoutoureya (palais présidentiel). Le 2 septembre, celui dont l’élection, en 2010, avait été saluée comme une victoire de la démocratie a confirmé sa participation au scrutin présidentiel du 18 octobre prochain pour un troisième mandat. La Constitution guinéenne limite le nombre de mandats présidentiels à deux, mais l’adoption, en mars dernier, d’une nouvelle Loi fondamentale lors d’un référendum boycotté par l’opposition, a rebattu les cartes et « permet » au président sortant de remettre son compteur à zéro. Malgré les nombreuses manifestations menées par le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) regroupant les principaux partis d’opposition et organisations de la société civile, fortement réprimées.
Selon le FNDC, « il est désormais évident pour les plus sceptiques que M. Alpha Condé, qui revendique des décennies de lutte pour la démocratie en Guinée, n’est autre que la plus grande désillusion de l’histoire politique de notre pays ». Même les organisations internationales, qui avaient salué l’élection de l’ancien opposant en 2010 ont changé leur fusil d’épaule. Observant, comme Human Rights Watch et Amnesty International, une pratique de plus en plus brutale du pouvoir sous les deux mandats du « professeur » de 82 ans. Déjà passablement tendue, la situation s’annonce plus qu’explosive avec la troisième candidature du leader du Rassemblement du peuple de Guinée, parti au pouvoir. Comme lors des précédents scrutins, Alpha Condé retrouvera devant lui, entre autres adversaires, le chef de l’Union des forces démocratiques de Guinée, Cellou Dalein Diallo, qui s’est porté candidat malgré l’appel au boycott du FNDC.
En Côte d’Ivoire, on croyait s’acheminer vers des élections plus ou moins apaisées, mais patatras, le décès subit, le 8 juillet dernier, du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, candidat désigné du parti au pouvoir pour le scrutin présidentiel du 31octobre 2020, a rebattu les cartes. Le président sortant, Alassane Dramane Ouattara (ADO), 78 ans, qui avait laissé entendre depuis plusieurs années qu’il ne ferait pas de troisième mandat, —déclarant notamment le 5 mars 2019, devant les parlementaires réunis en congrès « je voudrais vous annoncer solennellement que j’ai décidé de ne pas être candidat à l’élection présidentielle (…) J’ai décidé de transférer le pouvoir à une jeune génération. » —, s’est ravisé à la disparition de son dauphin pour se porter finalement candidat. Investi le 22 août pour porter les couleurs de son parti, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), il a invoqué un « cas de force majeure » créé par la disparition d’Amadou Gon Coulibaly. « Face à ce cas de force majeur, j’ai décidé de répondre favorablement à l’appel de mes concitoyens (…) dans l’intérêt supérieur de la nation », a justifié ADO. Une candidature que conteste l’opposition, car « illégale » en vertu de la Constitution qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Du côté des partisans du chef de l’Etat on explique que l’adoption d’une nouvelle Loi fondamentale en 2016 a remis les compteurs à zéro. Ce qu’a confirmé le Conseil constitutionnel le 14 septembre, statuant qu’« il ne peut être fait grief au candidat (ADO, Ndlr) de briguer un nouveau mandat », car la Constitution de 2016 consacre une nouvelle République et qu’elle « remet par conséquent les compteurs à zéro ».
A moins de deux mois du premier tour du scrutin, la candidature du président sortant a réveillé les vieux démons, soufflant sur des braises datant de la crise post-électorale de 2010-2011 loin d’être totalement éteintes. Déjà, des affrontements à relents ethniques, se multiplient à travers le pays avec plusieurs morts et blessés. Si, en 2015, Alassane Dramane Ouattara a été réélu dès le premier tour avec un score de 83,66% des voix dans un climat apaisé, tous les partis membres du RHDP étant derrière leur candidat, la majorité présidentielle s’est depuis effritée. Certains alliés du rassemblement ont quitté le navire. Il en est ainsi du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié. L’ancien président, âgé de 86 ans, est candidat de son parti. D’autres anciens alliés du chef de l’Etat comme les ex-ministres des Affaires étrangères, Marcel Amon Tanoh, et de l’Enseignement supérieur, Albert Mabri Toikeusse, leader de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI) sont désormais étiquetés opposants au régime en place.
Autre source de tensions entre pouvoir et opposition, la radiation des listes électorales, puis le rejet de leurs dossiers de candidature à la présidentielle par le Conseil constitutionnel, de l’ancien président Laurent Gbagbo et de l’ex-Premier ministre et président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro. Le premier, en liberté conditionnelle à Bruxelles après son acquittement par la CPI (Cour pénale internationale), est par ailleurs sous le coup d’une condamnation à 20 ans de prison par la justice ivoirienne pour le « braquage » de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest et est déclaré inéligible. Reconnu coupable de « recel de détournement de deniers publics » et « blanchiment de capitaux », l’ancien chef des Forces nouvelles a pour sa part été condamné, en avril dernier, à 20 ans de prison et à la privation de ses droits civiques pendant cinq ans. Il fait également l’objet de poursuite pour une tentative présumée d’« insurrection ». Réfugié en France, un mandat d’arrêt international est lancé contre lui. Autre pomme de discorde qui cristallise un peu plus les tensions préélectorales, la Commission électorale indépendante (CEI). L’opposition dénonce sa composition et exige des changements profonds en son sein, l’accusant d’avoir manipulé les listes électorales.
A quelques semaines du premier tour du scrutin, la tension est encore montée d’un cran, le 14 septembre, avec la publication de la liste des candidats aptes à pour concourir. Sur les quarante-quatre candidatures déposées, quatre
dossiers seulement (Alassane Ouattara, du RHDP, Henri Konan Bédié, du PDCI, Affi N’Guessan, de l’aile dissidente du FPI, et Kouadio Konan Bertin, transfuge du PDCI) ont été validés par le Conseil constitutionnel. Une décision dénoncée comme un seul homme par l’opposition qui parle, comme Guillaume Soro, d’« exclusion arbitraire et antidémocratique de leaders politiques majeurs ». Les ivoiriens sont plus que jamais dans l’expectative. Avec une certaine angoisse que la cocotte-minute n’explose avant ou après.
Au Niger, la situation semble plus simple. Contrairement à ses homologues ivoirien et guinéen, le président nigérien, Mahamadou Issoufou, a promis depuis longtemps qu’il ne cèdera pas à la tentation du troisième mandat. A quatre mois de la présidentielle du 27 décembre 2020, il s’en tient à l’article 47 de la Constitution qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Dans le landerneau politique nigérien, la succession est donc ouverte.
Pour lui succéder, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS, au pouvoir) a choisi Mohamed Bazoum pour porter ses couleurs. Ministre de l’Intérieur depuis 2016 et ex-ministre des Affaires étrangères, ce diplômé en philosophie de 60 ans est considéré comme un des hommes les plus puissants du pays depuis l’arrivée au pouvoir de Mahamadou Issoufou en 2011. Il avait quitté le gouvernement fin juin dernier afin de « mieux préparer l’élection présidentielle de 2020 à laquelle il est candidat ».
Face à celui qui fait figure de favori, on retrouve trois autres poids lourds de la scène politique nigérienne : Mahamane Ousmane, ancien chef de l’Etat de 1993 à 1996, Seyni Oumarou, du Mouvement national pour la société de développement, le général Salou Djibo, ex-chef de la junte militaire au pouvoir de février 2010 à avril 2011. Et théoriquement Hama Amadou, leader du Moden Fa Lumana et chef de file de l’opposition. L’ancien Premier ministre et ex-président de l’Assemblée condamné en mars 2017 à un an de prison dans une affaire de trafic présumé de bébés, ce qui le rend inéligible selon le code électoral nigérien, a récemment bénéficié d’une grâce présidentielle. Mais, selon le constitutionnaliste Amadou Boubacar, « cette remise gracieuse ne signifie pas le recouvrement de son droit civique ». Sera-t-il qualifié pour le scrutin de décembre prochain ? La question reste posée ?
En attendant, le Niger semble s’acheminer vers une transition réussie, les yeux rivés toutefois sur la question sécuritaire.
Les Burkinabè se rendront aux urnes le 22 novembre pour le deuxième scrutin présidentiel depuis la chute, en octobre 2014, de l’ancien président Blaise Compaoré qui a dirigé le pays pendant 27 ans. Roch Marc Christian Kaboré, son successeur, élu en 2015 dès le premier tour avec 53,5 des voix, est de nouveau dans les starting blocks pour un second mandat. Mais cette fois le scrutin s’annonce plus compliqué pour celui qui a été Premier ministre et président de l’Assemblée nationale sous le régime Compaoré. Et pour cause ! Investi par son parti, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), il doit faire face à des candidats qui n’avaient pas été autorisés, en 2015, à se présenter car jugés proches de l’ancien régime. L’électorat risque donc d’être éclaté. De Zéphirin Diabré, Eddie Komboïgo, en passant par Kadré Désiré Ouédraogo, Ablassé Ouédraogo, entre autres candidats déclarés, tous sont déterminés à empêcher le président sortant de passer au premier tour, comptant sur l’Accord politique de l’opposition signé en août dernier par les prétendants déclarés à la magistrature suprême et vingt-deux partis politiques.
Par ailleurs, contrairement à 2015 où il est arrivé à la tête du pays dans un contexte de crise politique, Roch Marc Christian Kaboré va par ailleurs être confronté à son bilan, tant sur le plan institutionnel qu’économique, mais surtout sécuritaire. Si son arrivée au pouvoir avait suscité de grands espoirs de changement et de développement, cinq ans plus tard le résultat est en demi-teinte et 63% des Burkinabè ne sont pas satisfaits de son action selon un sondage du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) réalisé en juin dernier.
Mais il faut reconnaître au chef de l’Etat sortant des circonstances atténuantes. Depuis 2016 le pays est confronté à la violence. Les groupes djihadistes multiplient attaques et enlèvements sur toute l’étendue du territoire, notamment dans le Nord, presque quotidiennement. Un défi sécuritaire auquel est confronté le président Kaboré depuis son arrivée au pouvoir et qu’il n’arrive pas à circonscrire ni atténuer.
Au défi sécuritaire est venue s’ajouter en début d’année la pandémie du coronavirus, aggravant une situation déjà difficile. C’est donc dans un contexte complexe que Roch Marc Christian Kaboré va tenter de rempiler au sommet de l’Etat pour un nouveau mandat de cinq ans.
En Tanzanie, John Magufuli, élu en 2015, devrait normalement conserver son fauteuil lors du scrutin présidentiel du 25 octobre. Et pour cause ! Depuis son entrée en fonction l’espace démocratique a diminué et il s’est juré, en février 2016, qu’« il veillerait à ce qu’il n’y ait pas de partis politiques d’opposition d’ici les prochaines élections générales » en 2020. Pour cela il n’a de cesse de multiplier des actions contre les partis d’opposition dont les activités — réunions publiques, rassemblements et manifestations diverses — ont été interdites. Les plus grands partis d’opposition du pays, tels que Chadema et Act-Wazalendo ont été menacés de radiation. Parallèlement, le gouvernement s’en est pris aux défenseurs des droits humains, aux médias indépendants, etc.
Au total, autrefois considérée comme une démocratie naissante, la Tanzanie, depuis l’entrée en fonction du président John Magufuli, est presque redevenue aujourd’hui un Etat à parti unique, comme aux glorieuses heures du Chama Cha Mapinduzi, qui détient le pouvoir depuis l’indépendance en 1961. Dans ces conditions, le seul enjeu du scrutin à venir réside dans des conditions acceptables pour être considéré comme une élection.
En République centrafricaine on est toujours sur un volcan. Malgré la signature, le 6 février 2019, d’un « accord politique pour la paix et la réconciliation » — le treizième — entre le gouvernement et quatorze groupes armés qui prévoit, entre autres « la dissolution intégrale des groupes armés sur toute l’étendue du territoire national », la paix reste toujours un vœu pieux en République centrafricaine (RCA). Plus des deux tiers du territoire restent encore entre les mains de divers groupes rebelles et milices qui, outre les atrocités, ont mis en coupe réglée une partie de l’économie du pays. C’est dans ce contexte que le président Faustin- Archange Touadéra se prépare à briguer un second mandat lors de la présidentielle prévue normalement (on parle de plus en plus d’un glissement) pour le 27 décembre.
Arrivé second au premier tour du scrutin de 2016 avec 19,42% des voix derrière Anicet Georges (23,78%), il a été élu à la surprise générale au second tour avec plus de 62% des suffrages. Qu’en sera-t-il cette année ? Si depuis son élection les institutions politiques jouissent d’une relative stabilité et d’un plus large espace accordé à l’opposition, l’économie nationale par contre est toujours mal en point. Sur le plan sécuritaire, la situation est tout autant préoccupante. « La perspective des élections a donné aux groupes armés une raison supplémentaire de maintenir et d’étendre leur contrôle sur le territoire », a averti mi-juillet un groupe d’experts de l’ONU. Tout est réuni pour faire de cette élection un scrutin à haut risque pour Faustin-Archange Touadéra. Mais le mathématicien peut compter sur « Be Oko » (les « Cœurs unis »), une plateforme regroupant une trentaine de partis et associations politiques lancée en mai dernier par le parti présidentiel le Mouvement cœurs unis. Histoire de ratisser très large face à des candidats déclarés comme la présidente de la transition (2014-2016) Catherine Samba-Panza, Anicet-Georges Dologuélé, Martin Ziguélé ou encore l’ex-chef de l’État François Bozizé.
La Rédaction