RDC : Pourquoi il ne faut pas persister dans l’erreur

Les Congolais ont encore une mauvaise perception des relations qu’entretient leur pays avec certains Etats de la région. Pour tordre le cou à certaines idées reçues et contre-vérités, l’auteur prend l’exemple du Kenya qui, d’après lui, considère la RDC comme un marché pour ses produits y compris financiers et une terre d’accueil pour ses investissements.

Le président Félix Tshisekedi recevant son homologue kenyan, Uhuru Kenyatta, à Kinshasa.

Il y a quelques années, les principales villes sud-africaines étaient le théâtre de violentes manifestations contre les étrangers qui avaient alors été qualifiées de « xenophobia ». Dans les analyses et appels au calme de l’époque, j’avais noté que certains évoquaient « the sickness of xenophobia, the politics of healing » : pour eux, en effet, le peuple sud-africain (de larges composantes) était souffrant. Et il était nécessaire d’adopter des politiques pour le soigner et si possible le guérir psychologiquement. On se référait alors aux longues années d’isolement du peuple sud-africain qui l’ont tenu dans l’ignorance des apports du reste de l’Afrique dans le combat contre l’apartheid et de sa terrible culture de violence.

La crainte perpétuelle des Congolais d’être pillés dans le cadre des accords de partenariat signés avec des investisseurs étrangers semble être une tendance que je considère comme maladive et schizophrénique. Elle me donne la conviction qu’il faille aussi « soigner » le mental du peuple congolais, qui a perdu toute compréhension du fonctionnement d’un système économique capitaliste, et qui semble considérer que ce système doive toujours fonctionner en sa défaveur. Il y a quelques semaines, le peuple congolais a suivi la visite officielle du président kenyan, Uhuru Kenyatta, à Kinshasa. Celle-ci a été ponctuée par la signature de plusieurs accords.

Il s’est agi, à en croire la presse, d’un accord général de coopération et d’autres touchant spécifiquement les secteurs de la sécurité, de la défense, de la gestion du fret maritime et des infrastructures, sans oublier la lutte contre la corruption et le blanchiment des capitaux. Alors que l’encre sur les documents n’était pas encore sèche, on a ou observer qu’une infâme campagne de dénigrement du président Kenyatta était déjà engagée dans les réseaux sociaux, l’accusant notamment de vouloir faire main basse sur les minerais du Congo. On le soupçonne, de manière éhontée, de vouloir piller les richesses du « pays de Patrice Lumumba ». C’est effectivement devenu un comportement – un réflexe pavlovien – de voir derrière toute relation avec l’étranger des risques de pillages.

Ainsi, dans un de ces messages anonymes il est affirmé : « Pour certains, Kenya Airways facilitera le transport des richesses pillées vers le Kenya. Nairobi proche de Goma devient ainsi une base arrière pour asphyxier davantage l’Est du pays. (…) L’expérience des accords passés signés avec les voisins est à la base du calvaire que connait la RDC à ce jour. » Un autre de ces messages, signé « Opération de l’auto-défense maï-maï » (repris tel quel) n’hésite pas à affirmer que « les Kenyans ont échoué de payer les crédits qu’ils ont emprunté aux Chinois, c’est ainsi que la Chine a confisqué le Port de Mombasa et la route (sur le tronçon Nairobi-Mombasa). [Bref], c’est la Chine qui est en train de recevoir les recettes. » Il poursuit en révélant que c’est pour sauver l’aéroport Jomo Kenyatta que le président kenyan vient au Congo pour piller ses richesses…De telles affirmations font toujours recette dans un pays traumatisé par son impuissance militaire et l’action nocive de certains de ses voisins, mais aussi frustré par le fait qu’il ne parvient toujours pas à jouir de ses colossales richesses minières. Devant de telles énormités qui constituent soit une preuve d’ignorance, soit une action de désinformation, il faut donner quelques informations aux Congolais et rétablir aussi quelques vérités.

D’abord à titre d’information :

  1. En 2013, avant d’être élu chef de l’Etat, Uhuru Kenyatta possédait déjà une richesse estimée à 500 millions de dollars, faisant de lui l’un des citoyens les plus riches du Kenya. Parmi les avoirs de la famille Kenyatta figurent des entreprises dans plusieurs domaines : des médias, de la banque, du tourisme, des assurances et des produits laitiers. Sa famille possèderait également plus de 200 000 hectares de terres au Kenya, dont une grande partie avait été acquise par son père au cours d’un programme de transfert de terres postcolonial. Ce n’est donc pas quelqu’un qui a besoin de piller la RDC pour commencer à bâtir sa richesse.
  2. Le Kenya est, d’après la Banque mondiale, un pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (comme l’Inde, le Maroc ou encore le Sénégal), et le seul en Afrique de l’Est. La RDC par contre est le 6e pays le plus pauvre au monde avec un PIB de 49 milliards de dollars et un revenu annuel moyen de 478 dollars par habitant. Quant au Kenya, il a un PIB de78 milliards de dollars avec un revenu moyen de 1 816 dollars. Je doute que quelques kilos d’or ou de coltan évacués par avion enrichissent sensiblement ce pays au point de lui permettre de rembourser ses dettes extérieures. Le Kenya n’est pas le Rwanda, il faut garder le sens des proportions….A mon avis, le Kenya préfère certainement attirer plus de touristes ou valoriser rapidement ses ressources pétrolières.

A titre de correction :

  1. Le Kenya veut piller la RDC pour rembourser les prêts chinois ? Ukur Yatani, secrétaire du gouvernement chargé du Trésor national et du Plan, a déclaré ce qui suit à la commission parlementaire des finances et de la planification nationale : « Les projets d’infrastructure chinois entrepris au Kenya sont viables car ils auront un effet positif sur l’économie. les Chinois ont financé de grands projets routiers et ferroviaires qui ont facilité le transport des personnes et des marchandises à travers le pays. Le rythme d’achèvement des projets a été rapide et ils ont également un effet à long terme sur l’économie, ce qui est très bon. » Il a par ailleurs noté que le taux d’intérêt des prêts chinois au Kenya est en moyenne de 3% par an, ce qui est inférieur aux taux des prêts commerciaux dans le pays.Il a également souligné que le Kenya a maintenu une dette publique inférieure au seuil de viabilité de la dette internationale. « Nous ne demandons donc pas de report ou d’annulation de dette car nous ne rencontrons aucune difficulté à rembourser nos prêts », a-t-il révélé. (*)
  2. Par ailleurs, ce qui tendrait à confirmer les propos de l’autorité kenyane, c’est que ce pays est en phase d’emprunter environ 7 milliards de dollars sur les marchés internationaux, par eurobond, ce qui n’est pas à la portée du premier venu. Ici, aussi, je doute que des vols d’avion pleins de minerais du sang puissent plus intéresser le gouvernement kenyan qu’un emprunt sain d’eurobonds.

Toutes ces informations disponibles sur Internet, si elles avaient été consultées, auraient empêché de tels égarements.

Certes, il est de notoriété publique qu’une partie de l’or sorti illégalement de la RDC transite par Nairobi, alimentant ainsi un circuit mafieux. Mais rien ne permet d’affirmer que la politique d’Etat du Kenya est de prendre part à un commerce mafieux. Seuls les Kenyans eux-mêmes peuvent expliquer quel intérêt économique, politique ou stratégique ils poursuivent au Congo. Pour ma part je crois volontiers à la raison avancée par la plupart des observateurs : la volonté de mieux pénétrer un marché de plus de 90 millions de consommateurs. La poursuite d’intérêts n’a rien de monstrueux. Depuis la nuit des temps, il est observé que les Etats du monde ne pouvant vivre en autarcie et se suffire à eux-mêmes, sans relations extérieures, poursuivent des intérêts externes pour soutenir leur existence économique et politique.

Pour survivre dans le concert des nations, il faut être capable de bien définir ses intérêts et de se donner les moyens de les défendre en cas de menace actuelle ou future.  L’un des grands rôles que jouent les gouvernements aujourd’hui est d’aider leurs hommes d’affaires à gagner des parts de marché partout dans le monde. Uhuru Kenyatta ayant un profil de businessman avisé, cela n’est absolument pas choquant qu’il apporte un appui militaire au Congo en espérant en retirer un bénéfice pour son pays et pourquoi pas, pour ses hommes d’affaires, réputés par ailleurs très dynamiques. Il faut être d’une naïveté criminelle pour penser qu’un pays peut sacrifier ses jeunes par amour pour les Congolais. La poursuite des intérêts dans notre pays par un Etat étranger n’est pas forcément une menace de pillage, mais peut même rencontrer nos propres intérêts. Notre pays ne recherche-t-il pas des investisseurs, des financements, des alliés politiques ? L’essentiel est de veiller à ce qu’il y ait un équilibre entre ce que l’autre gagne et ce que nous pouvons retirer des accords que nous signons. C’est pour cela que nous avons des ministères qui régulent nos rapports économiques notamment avec les puissances étrangères. Notre souci doit être de veiller à ce que ces institutions œuvrent en étant guidées uniquement par l’intérêt national.

Relevons enfin que baser, depuis 60 ans, notre prospérité sur le secteur minier ou même d’autres activités primaires est également la preuve d’une certaine mentalité primaire et un défaut d’observation des tendances mondiales.

En effet, parmi les pays au plus haut niveau de vie au monde, figurent la Finlande et le Japon. Ils n’ont quasiment aucune matière première comparé au « grand » Congo. Leur seule richesse ? La qualité de leurs ressources humaines. Ceci explique que ces pays ont quitté le stade d’économies fondées principalement sur l’exploitation des matières premières (importées) vers des économies basées sur le savoir, l’innovation et l’intégration dans les chaines de valeurs des hautes technologies. Ces activités produisent une plus grande valeur ajoutée que la vente de minerais non transformés ou de petites huileries, savonneries ou minoteries. Certains diront que nos minerais sont utilisés dans la fabrication de produits de haute technologie (portables, aéronautique..). Mais il faut relever que, dans ce type d’industries, la matière première – outre qu’on peut l’acheter ailleurs ou progressivement la remplacer par d’autres, au gré des progrès de la recherche – a une valeur très faible dans le coût du produit final.

Voilà donc de nouveaux paradigmes qui devraient nous amener à abandonner une conception trop primaire de la richesse et contribuer à guérir notre mental de l’idée maladive, transpirant dans nombre d’écrits et de propos, que le monde entier ne cherche qu’à piller nos minerais. Eduquons nos enfants dans ce sens, et nous verrons que le développement, tant recherché depuis des décennies, nous sera donné par surcroit.

 

Par Omary Biladi, un économiste congolais travaillant à Kinshasa.

*( http://french.china.org.cn/foreign/txt/2020-12/02/content_76968432.htm).