« La couverture santé universelle contribue à améliorer le bien-être social de la population »

Docteur Polydor Mbongani Kabila est coordonnateur du Conseil National de la Couverture Santé Universelle (CN-CSU). Il a obtenu son diplôme de médecine à l’université de Kinshasa (Unikin). Il a effectué plusieurs spécialisations. Il est notamment spécialiste en médecine de famille du Collège de médecine d’Afrique du sud et du Collège des médecins de famille du Canada. Il est aussi spécialiste en médecine du travail (associé du collège des médecins du travail du Canada). Médecin certifié pour les examens médicaux indépendants avec ABIME (American Board of Indépendant Medical Examiners), il est membre des Amis de l’agenda de Lusaka (une évolution de la task force et du comité de pilotage de l’Agenda de Lusaka), membre directeur du comité de pilotage et de la task force de CSU2030 dont le siège se trouve à Genève.

Quel est le rôle du CNCSU et quel est le bilan de ses actions à ce jour ? 

 Le Conseil national de la couverture santé universelle (CN-CSU) est un organe interinstitutionnel, qui a pour mission de définir toute la politique en rapport avec la Couverture Santé Universelle (CSU) et de s’assurer de sa mise en œuvre tant au niveau national qu’au niveau provincial et local. En termes de bilan, le CN-CSU est passé par plusieurs étapes depuis qu’il a été créé en juin 2021. La première étape remonte au mois de décembre 2021, où le Plan stratégique de la couverture santé universelle a été adopté par le chef de l’Etat lors de la première réunion du comité de pilotage dudit conseil. A ce stade, je voudrais d’abord préciser que le conseil national est composé de deux organes : le comité de pilotage qui est présidé par le chef de l’État et la coordination que je dirige. Le comité de pilotage est constitué du chef de l’Etat, qui est secondé à la vice-présidence par Madame la Première ministre, son directeur de cabinet et 17 ministres sectoriels. Quant à la coordination, elle est dirigée par moi-même et se compose d’une trentaine de secrétaires généraux de l’administration publique, mais aussi des directeurs généraux des établissements de facilitation de la Couverture Santé Universelle, de la société civile, d’un représentant du collège santé et bien-être du cabinet du chef de l’Etat. Je fais également office de secrétaire-rapporteur du comité de pilotage. Le conseil est aussi répliqué au niveau provincial, avec les comités provinciaux de la couverture santé universelle ainsi que les comités locaux. Quant au bilan, le Conseil enregistre beaucoup d’avancées. Au-delà du plan stratégique national de la couverture santé universelle, nous avons contribué à la création des établissements de sa facilitation dans un travail d’ensemble avec le gouvernement. En fait, il y a eu cinq décrets qui ont créé cinq établissements de facilitation de la couverture santé universelle. Le Fonds de promotion de la santé, le Fonds de solidarité de santé, l’ACOREP, l’Autorité de régulation et de contrôle de la couverture santé universelle, l’Institut national de santé publique et l’Agence nationale de l’ingénierie clinique et numérique de la santé. Ces établissements publics ont été créés sur la base de cinq axes stratégiques décrits dans le plan stratégique de la couverture santé universelle. Puis le chef de l’Etat a procédé à la nomination des mandataires publics. Nous sommes ensuite passés à la réforme de la loi de santé publique qui a été modifiée et complétée par l’ordonnance-loi N°23/006 du 3 mars 2023. La loi en question, c’est la Loi N°18/035 du 13 décembre 2018. Cette dernière a été modifiée pour inclure le principe de couverture santé universelle et établir un système de couverture santé universelle qui est justement coordonné par le conseil national, à travers sa coordination. Autre détail important : un comité technique et stratégique logé au sein de la coordination. Il comprend plusieurs experts et conseillers ainsi que des chargés d’études. Dans cette évolution par étapes, le tournant est intervenu quand le chef de l’Etat a lancé la gratuité de la maternité et de la prise en charge du nouveau-né au mois de septembre 2023. Cela a évolué bien sûr avec des résultats assez probants comme la prise en charge de plus de 2 millions de femmes enceintes, l’équipement de plusieurs centaines d’établissements de soins tant aux niveaux primaire, secondaire que tertiaire. La prise en charge de la femme enceinte et du nouveau-né se fait à ces trois niveaux. Mais aussi, bien sûr, la digitalisation de notre système de santé a commencé en plus de l’approvisionnement en médicaments, en équipements… Ce premier paquet de soins a totalisé deux ans en septembre. D’autres reformes ont également été entreprises. Avec l’appui du CN-CSU et de sa coordination, nous avons pu faire avancer des mesures d’application de la loi par des décrets. Un décret important vient d’être signé par la Première ministre. La promotion de la santé se fera désormais par la taxation à hauteur de 2% de tous les produits importés, à l’exception des produits essentiels déjà exonérés. Une autre mesure concerne l’assurance maladie obligatoire dont les décrets sont déjà au niveau de la Commission des lois du gouvernement. La mise en place d’une telle assurance a été facilitée par un dialogue social qui a eu lieu lors du dernier conseil national du travail où le gouvernement, les employeurs et les travailleurs se sont mis d’accord sur ce dispositif. Tous ont accepté que, dès que ces mesures d’application seront prises, on puisse commencer à prélever sur tous les salariés 2,5% de leur rémunération. 2% seront supportés par l’employeur et 0,5% laissé à la charge du travailleur pour chaque personne qui sera couverte par cette assurance.

En des termes simples, qu’est-ce que la CSU et surtout quels en sont les objectifs ici en RDC ? 

Je vais d’abord donner une définition scientifique. Ensuite, je vais expliquer en des termes simples. Cette définition scientifique est universelle. Le concept « Couverture santé universelle » n’a pas commencé avec la RDC. Il s’agit d’un concept mondial qui a été défini clairement par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme étant l’accès aux soins de qualité équitable, sans souffrir d’une ruine financière. Et la manière d’éviter cette ruine financière dans la majorité de pays, c’est par le principe de prépaiement. Je l’explique. Quand on parle d’accès à des soins de qualité, c’est ce que nous appelons « l’offre de soins ». Quand vous arrivez dans un hôpital ou dans un établissement de soins de santé, vous trouvez un bâtiment, des médicaments, des laboratoires, des prestataires…  Tout ceci fait partie de l’offre. Et il faut que toutes ces choses soient en place. Il faut tout d’abord disposer d’un bâtiment construit en matériaux durables, ayant une source d’énergie et un approvisionnement en eau. Quand vous arrivez dans cet établissement, vous n’allez pas commencer à courir dans toute la ville pour la moindre prescription médicale. Vous devez trouver les médicaments surplace. Des équipements doivent aussi être disponibles pour par exemple faire une intervention chirurgicale, faire accoucher une femme ou faire une petite incision à un enfant. C’est ce que nous appelons l’offre. La Couverture santé universelle vise donc à rendre disponible tout ce que je viens d’énumérer. Sur place, vous devez trouver tout ce dont vous avez besoin. Et si les services ne sont pas disponibles à cet endroit, vous pouvez être référé à un autre établissement où vous allez trouver tous ces services dans de bonnes conditions. Cela revient à dire qu’il faut qu’il y ait des ambulances, des moyens de transfert sécurisés des patients. Il s’agit toujours du côté offre. Quant à la demande, c’est ce que nous avons souvent connu. C’est que quand vous arrivez dans un hôpital qu’on ne commence plus à vous demander : « Monsieur ou Madame, avant que nous puissions vous recevoir, nous voulons que vous nous donniez 10 dollars ou 100 dollars ». Cela relève de la protection financière dont nous parlons. Le principe de la CSU est que quand on arrive, qu’il n’y ait plus rien à payer. Vous arrivez, vous avez votre carte qui montre que vous faites partie de l’assurance maladie obligatoire qui sera pourvue par la couverture (santé universelle), et vous avez l’accès aux soins, sans question. Pourquoi ? Parce que, dans le cadre de la couverture santé universelle, nous mettons en place un système de prépaiement et de mise en place des ressources. Le prépaiement, c’est cela l’assurance maladie, c’est-à-dire on vous coupe un petit montant chaque mois. On met dans un pot commun ce que nous coupons à tout le monde. Cela devient un gros paquet de manière que quand vous y allez – ce n’est pas tout le monde qui va prendre les soins au même moment – on peut donc prendre soin de vous « sans casser la banque », comme on dit. C’est cela le principe : quand vous atterrissez dans un établissement des soins, vous y trouvez tout ce qui est nécessaire pour qu’on prenne correctement soin de vous, y compris des prestataires de qualité. C’est pour cela que nous insistons aussi sur la formation des prestataires, mais aussi quand vous arrivez, vous ne payez rien et vous rentrez à la maison avec votre paquet de médicaments. Ou, au besoin, si l’hôpital n’a pas suffisamment de médicaments et que vous allez dans une pharmacie qui est accréditée – cela va se mettre aussi en place – avec votre prescription, vous ne puissiez pas payer puisque vous êtes couverts par votre assurance. Voilà en gros le principe de cette couverture.

Dans ce vaste pays qu’est la RDC, quels sont les défis pour mettre en place une couverture santé universelle efficace ? 

Cette approche de la CSU n’est pas seulement celle du secteur de la santé. Il faut que les gens le comprennent. Il s’agit d’une approche multisectorielle qui apporte des améliorations de manière globale. C’est ainsi que nous disons que ce que nous sommes en train de mettre en place n’est pas simplement changer le système des soins au pays mais le bien-être social de la population, en la faisant participer à ce changement. Nous préconisons cette approche multisectorielle qui identifie les aspects qui doivent se mettre en place pour nous assurer que nous ayons tous accès à des soins de qualité. Si j’ai un hôpital mais la route est cassée, je n’aurai pas accès aux soins. Donc ce que nous faisons, c’est une politique de collaboration avec différents secteurs pour leur dire : nous devons avancer ensemble. Vous ne pouvez pas avoir un établissement qui offre des soins de qualité si vous n’avez pas une source sécurisée d’énergie. Je suis passé dans un établissement des soins il y a quelques mois où j’ai trouvé une salle d’opération, avec une machine d’anesthésie, mais ils n’ont pas une source fiable d’énergie. Je leur ai posé la question de savoir : dites-moi quand vous êtes en pleine opération et que la machine d’anesthésie est branchée au courant et qu’il y a coupure, qu’est-ce qui se passe ? Il y a eu un silence total ! Ça signifie qu’il y a des choses terribles qui se passent pendant ce temps-là. Et donc il est important que nous avançions ensemble avec tous les secteurs. Nous disons aussi la même chose : un enfant qui est malnutri ne peut pas avoir un système immunitaire correct. L’enfant tombe malade tout le temps et il fait des infections, donc cela aggrave sa malnutrition parce qu’il est malade tout le temps. Non seulement qu’il tombe malade tout le temps, mais quand on le vaccine, ça ne marche pas bien parce que pour que le vaccin marche bien, l’enfant doit être bien nourri et avoir assez de protéines dans le corps. Et s’il n’y en a pas assez, son corps ne fabrique pas d’anticorps. C’est donc un enfant qui a vraiment des problèmes sérieux. Et donc, il faut intervenir aussi dans la nutrition. Et là, ce n’est pas le secteur de la santé qui va le faire, mais plutôt le secteur de l’agriculture, pêche et élevage. Et donc il faut une politique d’ensemble. Tous ces défis, nous devons y faire face ensemble. C’est pour cela que nous travaillons avec les différents secteurs pour nous permettre, en effet, d’avancer dans cette option-là.  Et je reconnais que le pays est vaste, mais pour faire mille kilomètres, il faut commencer par un premier pas. Nous allons avancer progressivement et nous avons un atout spécial dans ce pays. C’est l’explication du président de la République. En effet, le Chef de l’Etat appuie cette politique extraordinaire pour que cette réforme aboutisse. C’est ainsi que, d’ailleurs, vous voyez qu’il est, lui-même, le président du comité de pilotage et qu’il a installé, lui-même, les gouverneurs de province à Kolwezi comme présidents des comités provinciaux de la couverture santé universelle.

Quels sont les avantages de la CSU en RDC et quels en sont les bénéficiaires ?

Les premiers bénéficiaires sont les femmes enceintes et les nouveau-nés grâce à une subvention de l’Etat. Et nous espérons que quand nous allons commencer avec la prise en charge des indigents, tous pourront en profiter quel que soit l’endroit où ils se trouveront. Déjà par rapport à votre question sur « qui est couvert » ? C’est cela. Mais il faut aussi se rendre compte d’une chose : dans tous les pays du monde où la couverture santé universelle a été mise en place, il y a ce qu’on appelle « la progressivité », c’est-à-dire qu’on ne peut pas dire que quand on commence avec la gratuité, on est en mesure de la faire partout au même moment. On y va progressivement. Pour le moment nous sommes dans 14 provinces sur les 26 que compte le pays, pour ce qui est de la gratuité. Et donc progressivement, nous comptons, d’ici la fin de l’année 2026, étendre cette gratuité à tout le pays. Mais pour ce qui est du paquet de base que nous allons mettre en place, du fait de l’assurance maladie obligatoire, une fois que les mesures d’application seront finalisées, tout résidant de la RDC aura normalement le devoir et l’obligation d’avoir cette assurance maladie obligatoire. Donc tout résident à travers le pays devra avoir accès à ces soins. Mais c’est un gros exercice bien sûr parce qu’il faut, en même temps que les gens commencent à avoir accès aux soins, améliorer aussi l’offre de soins de sorte à ce que ce qu’ils vont trouver surplace quand ils vont commencer à y accéder est de bonne qualité. C’est pour cela qu’il y a tous ces établissements de facilitation qui ont été mis en place pour aider dans cette démarche. Par exemple, le Fonds de promotion de la santé est une sorte de banque de santé dont le travail est d’améliorer l’offre : réhabiliter les établissements, construire au besoin là où il n’y en a pas, mais aussi équiper, fournir des médicaments, financer la formation des prestataires. Et donc une partie des fonds qui seront versés à l’assurance maladie obligatoire sera versée au Fonds de promotion de la santé. Mais le Fonds de promotion lui-même va bénéficier de la TPS, la taxe sur la promotion de la santé.

Quel est l’impact de la couverture santé universelle sur la santé publique et l’économie nationale ? 

Absolument. Nous partons du principe du capital humain. Il est influencé notamment par la santé, l’éducation et l’emploi. Pour plusieurs raisons, une personne ou un enfant qui n’est pas en bonne santé ne peut pas bien étudier. Et le fait qu’il n’a pas bien étudié, il est moins productif qu’un enfant qui a étudié quand il devient adulte. Parfois cela a un impact qui perdure. A titre d’exemple, nous évoquons les premiers mille jours de vie, de la conception jusqu’à deux ans. Si un enfant est mal nourri pendant cette période, il court le risque qu’à l’âge adulte, son cerveau ait une capacité limitée de 30%. Donc il n’aura qu’un cerveau qui fonctionne à 70% par rapport à un enfant qui été bien nourri pendant les 1000 premiers jours. C’est donc très sérieux. Et là, nous voyons que la nutrition revient encore. Elle a un effet significatif si nous améliorons la santé à travers la CSU. Elle va certainement améliorer la vie des gens et nous donner une population productive. Le danger de ne pas le faire, nous engendrerons, à un moment donné, une génération de vieux qui n’aurons pas de travail et qui sera un poids énorme pour la société parce que ces personnes n’ont pas été productives. Il faut donc absolument intervenir maintenant pour prévenir cette situation.

 Quel est le budget à consacrer annuellement au financement de la CSU ? Y aura-t-il un recours aux bailleurs de fonds  ? Et sous quelle forme ? 

Avant de répondre à votre question, je vais déjà vous donner une idée du financement de la santé en RDC. Pour que les gens aient accès aux soins de santé pour le moment, dans le système de santé circule à peu près entre 1,8 milliard à 2 milliards de dollars de plusieurs sources. Les ménages en constituent la plus grosse source à 42% – 45% et 30% par les partenaires. L’Etat pour le moment, malheureusement, ne contribuait qu’à hauteur de 16%. C’est ce qui fait les 100% de ces 2 milliards. Mais les ménages utilisent mal ce financement. Ils l’utilisent au moment où ils ont recours aux soins dans un établissement. C’est à ce moment-là que vous allez payer. Nous l’appelons « le paiement direct des soins » et il ne marche dans aucun pays du monde. Personne ne peut payer des soins directement. Cela appauvrit de payer des soins directement. Imaginez que vous tombiez malade et qu’on dise que vous avez besoin de 2000 dollars. Il s’agit de 2000 dollars que vous n’aviez pas planifiés. Vous pouvez les avoir si vous avez des économies, mais pas tout le monde. Cela signifie que les personnes qui n’en ont pas vont recourir à d’autres moyens, y compris l’endettement.  Et parfois, ils vendent même leurs outils de production, comme une machine à coudre, ou ils la mettent en gage, un vélo, ou une moto, etc. Ils aggravent leur état d’appauvrissement. Il s’agit de faits. Il y a bien sûr l’État qui donnait ces 16%. Et donc, plus ou moins 2 milliards de dollars circulent dans notre système de santé. Quant aux médicaments essentiels, si on les achète et on les rend disponibles, ils coûtent 700 millions de dollars. Il y a d’autres besoins. Nous estimons qu’environ 3 milliards de dollars devrait être ce que nous devions générer pour être en mesure de prendre notre population en charge par la Couverture Santé Universelle. Est-il possible de générer ces ressources ? Mais bien sûr. Comme nous l’avons démontré, il y a toutes ces sources de revenus qui sont nouvelles, comme la taxe de promotion de la santé (la TPS) à hauteur de 2% sur les produits importés non exonérés mais également l’assurance maladie obligatoire qui va générer au-delà de 2 milliards de dollars quand elle deviendra optimale. Donc, quand on voit toutes ces sources de financement et les bailleurs de fonds qui contribuent à hauteur de 30%. Cela devant couvrir la majorité des dépenses essentielles en santé. Avec le départ de l’USAID, leur apport va baisser. C’est une situation à laquelle nous nous préparions déjà, parce que nous savions qu’il faut passer par une transition afin que le pays commence à se prendre en charge lui-même sur le plan de la santé. Avec ces mesures que le gouvernement est en train de prendre, du fait de la nouvelle loi de santé publique, nous pensons que nous allons générer suffisamment de ressources pour couvrir les soins de santé.

 Comment allez-vous lutter contre la fraude et le gaspillage ? Ne craignez-vous pas des dérapages en matière de dépenses liées à la CSU ?

Oui, je peux vous dire une chose : depuis que nous avons commencé avec la gratuité, nous nous sommes rendu compte que la fraude est endémique. En fait, elle est très sérieuse. Et parfois, il se pose des problèmes de moralité pour certaines personnes et ce qu’elles font pour détourner le système et continuer à frauder. Je ne vais pas vous donner des exemples, mais je veux tout simplement vous donner une illustration, en disant que si nous ne faisions pas le contrôle, depuis que nous avons commencé la gratuité des accouchements, nous allions payer un excès de 14 millions de dollars, à peu près. C’est très significatif ; c’est de l’argent qui allait disparaître alors qu’on en a besoin pour financer notre système de santé. Alors, comment fait-on pour s’assurer qu’il n’y a pas de détournement de fonds ? Ou pour minimiser – parce que c’est impossible de complètement endiguer ? Nous espérons que progressivement, ça va s’améliorer. Premièrement, au niveau des établissements de facilitation de la couverture de santé universelle, nous, au niveau du conseil, avions recommandé que l’IGF (l’Inspection Générale des Finances) puisse accompagner ces nouveaux établissements publics. Et cela a été fait pour la première année, pour tous les autres établissements, et pour le Fonds de solidarité de santé qui brasse la majorité des fonds dans le cadre de la gratuité des accouchements. L’IGF est toujours présente, jusqu’à ce jour, pour accompagner ces établissements et les aider avec des contrôles a priori, et a posteriori. C’est le rôle de l’IGF. Je crois que ça se passe plutôt bien avec eux, au niveau de cet établissement particulièrement, mais aussi au niveau des autres quand nous avons commencé le processus. Deuxièmement, on compte également sur l’Inspection générale de santé qui s’assure que quand un établissement de soins dit qu’il a fait une césarienne, qu’il l’a effectivement faite dans de bonnes conditions, et dans un établissement de soins qui a été accrédité pour le faire. Parce qu’il y a des établissements de soins – bon, comme on dit à Kinshasa, un « Ligablo » quelque part au coin, où on veut faire des césariennes, et ce n’est pas possible. Donc il y a des niveaux, et c’est ainsi que dans notre système de la couverture santé universelle, les établissements sont accrédités par l’Autorité de régulation et du contrôle de la CSU. Avec l’Inspection générale de santé, ils passent dans les établissements pour s’assurer également de l’effectivité des soins ainsi que de la qualité des soins qui sont fournis. Et quand il y a des décès inexplicables ou des plaintes qui sont adressées au niveau de notre système, ils peuvent aussi faire des enquêtes pour s’assurer de la véracité des plaintes, et voir comment nous allons les prendre en charge. Nous avons installé un numéro vert, le 151. C’est le même que les gens appellent pour M-Pox et autres maladies. Ce numéro, c’est aussi un numéro de plainte où les gens peuvent appeler s’ils sont maltraités ou s’ils ont payé alors qu’ils ne sont pas supposés de payer. Ils peuvent appeler ce numéro-là, 151, je le répète, 151, pour se plaindre des abus et autres problèmes qui peuvent se passer au niveau des établissements de soins. Ça, c’est l’Inspection générale de santé. Alors, au-delà de l’Inspection générale de santé, le Fonds de solidarité de santé, qui est notre agent payeur pour ce qui est du paiement de prestations de soins, ils ont ce que nous appelons des « médecins-conseils ». Et leur travail, c’est d’aller dans les établissements. Avant tout paiement, ils font ce que nous appelons « la vérification ». Et après, s’il y a des questionnements, on fait aussi ce qu’on appelle la « contre-vérification » avant que l’établissement ne bénéficie des paiements pour les prestations qu’ils disent avoir accomplis. Voilà un peu comment le système a mis en place tout un mécanisme de contrôle pour prévenir ou plutôt minimiser la fraude, parce qu’on ne peut pas prévenir à 100%. Un dernier élément. Nous sommes en train de digitaliser le système de santé avec l’Agence nationale d’ingénierie clinique et de numérique de la santé. Et très prochainement, toutes les transactions financières se feront de façon électronique. Donc, plus faciles à tracer. Il s’agit là de l’étape ultime.

 Comment comptez-vous garantir à tous les bénéficiaires potentiels l’accès aux soins de santé quel que soit l’endroit où ils se trouvent ? 

Oui, c’est un défi du système. Je loue déjà les actions entreprises par le gouvernement de la République, sous l’impulsion de son excellence Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, président de la République et chef de l’État, dans le cadre du PDL-145 territoires. Comme vous le savez, il y a déjà une partie de la réponse qui est fournie par ce processus du fait de la construction des établissements de santé dans le pays, en même temps que des écoles et autres infrastructures comme des infrastructures administratives. Nous louons ces initiatives et, d’ailleurs, dans nos discussions avec le ministère de la Santé et celui du Plan, il y a même une suggestion de commencer à créer des logements pour des prestataires en même temps qu’on construit des établissements des soins. Parce que cela va permettre de recruter le personnel à l’intérieur du pays, à des endroits qui, jusqu’aujourd’hui sont en souffrance en termes de disponibilité des prestataires de santé déjà. Parce qu’on ne veut pas des éléphants blancs à l’intérieur  du pays où il n’y a pas de prestataires. Mais pour que les prestataires aillent à ces endroits, il faut faciliter la vie de ces personnes quand elles arrivent, en créant des activités leur permettant d’y rester, comme un cadre qui permettra à ce que les enfants aillent à l’école. Donc, il s’agit encore une fois de plus de cette approche multisectorielle à laquelle je faisais allusion plus tôt. Mais au-delà de ce projet, j’ai évoqué le Fonds de promotion de la santé qui est comme une banque d’investissement dans l’amélioration de l’offre. Sa mission est de travailler avec le ministère de la Santé pour s’assurer que nous avons une très bonne cartographie sanitaire en répertoriant ensemble avec l’Autorité de régulation de la CSU tous les établissements qui sont en République démocratique du Congo et voir si nous avons une couverture qui est équitable à travers le pays. Et là où il n’y a pas de couverture, c’est le rôle du Fonds de promotion de s’assurer qu’on crée une couverture.

Quand la CSU pourra-t-elle couvrir l’ensemble du territoire national ? Comment faire un bon maillage du territoire national ?

Je l’ai dit, c’est un processus qui est progressif et qui va aller en s’améliorant. D’ici 2030, je pense que nous aurons fait des progrès significatifs pour être en mesure de couvrir l’essentiel de la République avec une offre de soins acceptables.

 Comment allez-vous sensibiliser les médecins en vue d’une meilleure administration des soins de santé dans le cadre de la CSU ? 

Oui, la sensibilisation, bien sûr, nous l’avons prévue. D’ailleurs, nous étions en train de discuter avec la faculté de médecine de l’université de Kinshasa pour commencer avec ce que nous avons appelé « une approche humanisée des soins de santé ». Nous allons donc commencer des formations de prestataires. Avant de prendre des mesures, avant de sanctionner les gens, il faut s’assurer qu’ils savent que ce qu’ils font n’est pas bon. Bien que normalement, en tant qu’humains, nous sommes supposés savoir quand nous agissons mal. Nous partons du principe que peut-être les gens ne savent pas. On les forme. Et nous sommes déjà en plein travail de préparation pour cette formation des prestataires afin d’aider leur sensibilisation, afin de changer la mentalité ainsi que leur comportement. Il ne s’agit pas seulement des médecins. Vous avez appris ce qui se passe parfois en maternité où il y a des mamans qui sont maltraitées alors qu’elles sont en souffrance. Toutes ces erreurs vont être corrigées de manière progressive. Nous allons donc effectivement sensibiliser les prestataires.

La CSU a un caractère multisectoriel. Comment coordonnez-vous l’ensemble de parties prenantes suivant cette approche multisectorielle ?

Nous avons des réunions régulières. Une fois par mois, nous avons une grande réunion avec tous les secrétaires généraux des administrations publiques. Cela se passe au Palais de la Nation. Durant ces réunions, nous discutons des enjeux et des synergies entre les différents secteurs pour parvenir à la Couverture santé universelle. Cela s’est déjà mis en place. Mais au-delà du fait que nous nous retrouvons dans des réunions régulières, nous avons créé des commissions thématiques. Il y a, par exemple, la commission offre des soins, où vous retrouvez le secrétaire général à la Santé comme président, comme vice-président, un membre de la coordination du Conseil national ou des membres du Conseil national de la Couverture santé universelle, mais aussi d’autres membres comme, par exemple, le président du Conseil national de l’ordre de médecins ou du Conseil national de l’ordre de pharmaciens. Quand j’évoquais la société civile, c’est, entre autres, les sociétés savantes aussi. Un autre exemple, c’est aussi la commission de l’organisation de la demande. Comment on s’assure que nous respectons réellement le principe de la couverture santé universelle, en nous assurant que tout le monde puisse avoir accès à des soins de santé sans subir la ruine financière. Il y a cette commission qui y travaille. Il y a la commission juridique, dont le rôle est de voir s’il y a des mesures d’application qui doivent être prises du fait de la loi de santé publique. C’est ainsi que nous travaillons dans le cadre de la multisectorialité. Nous remercions sincèrement toutes les administrations publiques parce qu’elles sont réellement impliquées dans ce travail. Et nous pensons que d’ici quelques années, nous allons ensemble atteindre des objectifs favorables. Et dans le cadre de la multisectorialité, nous avons déjà commencé des initiatives concrètes. Un des exemples est que nous avons travaillé avec le ministère de la Santé et celui de l’Industrie pour une étude de faisabilité pour la production locale des moustiquaires pour combattre le paludisme. C’est un travail qui est déjà avancé. Nous sommes maintenant pratiquement arrivés à la formation d’un comité technique qui va accompagner la mise en place de ce processus et nous sommes en contact avec des partenaires internationaux, techniques mais aussi des partenaires internationaux en tant que pays comme la Chine. C’est un processus dans lequel nous sommes impliqués. Un autre exemple de la multisectorialité, c’est que j’ai mentionné le PDL-145 territoires. Nous sommes en train de travailler avec la coordination du PDL-145 territoires qui est situé au ministère du Plan pour voir comment nous mettons les synergies entre l’approche CSU-PDL. Voilà quelques exemples concrets de la multisectorialité. Sans oublier un dernier élément que je vais donner, c’est que nous sommes en train de travailler avec SAEMAPE (Service d’assistance et d’encadrement de l’exploitation minière à petite échelle) qui est un service du ministère des Mines pour voir comment nous allons pourvoir la couverture santé universelle, l’assurance maladie obligatoire des artisanaux miniers. Voilà des exemples de réalisations concrètes que nous sommes en train de mener avec les différents secteurs.

Propos recueillis par R. N